Dans un sensible et réussi premier roman, Un jour, il n’y aura plus de pères, David Frèche mène une archéologie familiale, sur trame de guerre d’Algérie, de judéité et de secret.
« On ne guérit jamais tout à fait de son enfance ». Ce petit diamant de plaidoirie, dû à l’immense avocat Georges Kiejman lors du procès de Pierre Goldman, en 1974, pourrait servir d’épigraphe au beau premier roman que signe David Frèche. Au mitan de sa vie, alors qu’il est lui-même père depuis peu -une naissance entraînant la dépression qui semble inexorable de son épouse et leur séparation-, Adam Fier ausculte son passé familial. Fier, un nom qui claque ! Presque une revendication. Mais un nom amputé. Les Fierdj, de leur patronyme initial, sont des Français juifs originaires d’Algérie. De ceux qui furent déchus de leur nationalité par le régime de Vichy en 1940, entrèrent dans une Résistance décisive pour le débarquement allié en Afrique du Nord et dont, aujourd’hui, les cimetières en Algérie sont profanés, détruits ou transformés en décharge. Adam est un Fier élevé par un père brillant, charismatique, au tempérament de feu mais qui cache ses propres fêlures. Pierre Fier est en effet marqué bien plus qu’il ne le laisse paraître par la mort
tragique et mystérieuse de son père, Georges, abattu de deux balles en 1957, alors que l’Algérie s’embrasse dans une guerre qui ne dit pas son nom, pudiquement qualifiée en métropole d’« événements ».
Ancré dans notre France contemporaine, Adam en est persuadé : « aujourd’hui, peut-être davantage aujourd’hui, on ne peut pas comprendre notre pays sans comprendre ce qu’a été ce conflit ». Il se jette dans les recherches, presque dans une enquête. Georges Fier a-t-il pu être assassiné « sur un malentendu », « pris pour un autre » ? Adam cherche les photos et lettres d’époque, fouille les archives civiles et militaires, interroge sa famille, les rares témoins directs. Se dessine une histoire familiale complexe : des grands-oncles et tantes communistes, très proches du FLN, une judéité prégnante (et très présente dans le roman). Un certain Robert Journet, silhouette fantomatique et interlope échappée d’un roman de Modiano, vieux monsieur qui fut un « ultra » de l’Algérie française, les armes à la main dès avant la naissance de l’OAS, tient-il la clef du secret ?
Ce qui frappe est, finalement, la solitude et la fragilité de ce narrateur attachant. Les stupides caricatures wokistes et décoloniales révulsent Adam qui, lui, se confronte à la réalité et surtout aux vérités protéiformes d’une sombre période : FLN contre MNA (Mouvement national algérien), Français de métropole contre autochtones musulmans, OAS contre armée loyaliste. Adam réveille les souvenirs de son père qui, alors, raconte une enfance douce et heureuse avant le meurtre, puis une lutte contre les affres de l’existence pour prendre le dessus et devenir l’homme fort, puissant et tendre qu’il est. Mère, grand-mère, épouse, jeune amante fugace, amie intime sont bien sûr présentes, chacune
comme un point de repère dans cet écheveau confus et singulier que constitue chaque trajectoire familiale. Cycle naturel, ordre des choses, Adam sait que son père partira un jour, avant lui. Alors, dit-il, « Je vivrai avec mes souvenirs dont la plupart seront beaux et je les transmettrai à James »,… son fils.
Un jour, il n’y aura plus de pères, de David Frèche, éditions du Rocher, 319 p., 19,90 €.