Ce weekend se tenait le festival organisé par l’Orchestre National de Lille, Lille Piano(s) Festival. L’occasion pour de grands noms du piano français et européen de se retrouver pendant trois jours au Nouveau Siècle et dans la ville pour un Marathon Mozart, et d’heureuses incartades. Reportage.
Au matin du deuxième jour du Lille Piano (s) festival, le public se pressait dans la salle du conservatoire de Lille, pour assister au premier concert de la journée. Car s’y annonçait une performance frappante : la jeune pianiste russe Anna Tsybuleva se lançait dans l’interprétation de l’intégrale des Préludes de Debussy, d’une traite. La jeune femme, élégante et déterminée, s’installa au piano, et commença à jouer. Ce fut une heure trente de plongée en eau debusséenne, souffle retenu du public et de la pianiste qui nous menait de ses doigts sûrs dans l’univers mouvant, si riche et nuancée, si joueur et profond, du maître français. La jeune femme marquait une pause entre chaque morceau, soulignant ainsi la diversité de ces œuvres qui nous promènent des danseuses antiques du musée du Louvres, au poème Harmonie de Baudelaire, ou, dans la deuxième partie, dans l’Alhambra de Grenade, par des sonorités espagnoles évidentes. Avec une finesse incontestable, Tsybuleva sut faire vivre l’infinie richesse de ce monde de Debussy, à la fois si relié à son temps, dans son impressionnisme, sa recherche permanente de nouvelles formes, tout en assumant sa forme de romantisme, cherchant chez Shakespeare, ou Ondine, des figures dignes de sa féérie. Le visage de Tsybuleva reflétait les nuances de son jeu, et parfois le plaisir qu’elle éprouvait à embrasser les jeux de Debussy, devenant elle-même une des fées qui peuplent l’imaginaire du compositeur français. Elle fut acclamée à la fin, et salua, heureuse et visiblement éprouvée par ce marathon qui l’a vu traverser les 24 Préludes sans partition. Un moment qui, au-delà du plaisir, nous a permis de ressentir la cohésion et l’inlassable modernité de ces Préludes, dont le premier livre a été écrit en 1909, et le second en 1913, cinq ans avant la mort du compositeur, et dont on pouvait entendre l’avancée dans la sophistication et la profondeur.
Mozart, de la sonate au concerto
Par la suite nous sommes revenus au grand sujet du Lille Piano (s) festival : Mozart. Car pendant trois jours, le compositeur autrichien est devenu l’alpha et l’oméga pour les pianistes venus de toute l’Europe interpréter ses sonates et concertos. Cet après-midi de samedi, Herbert Schuch entamait son propre marathon qui le voyait jusqu’à dimanche interpréter l’ensemble des sonates. Le pianiste allemand est entré, apparemment détendu, s’installer au piano abandonné quelques heures plus tôt par Anna Tsybuleva, pour se lancer, avec un sens de l’humour et de légèreté merveilleux. Se promenant dans les jeunes sonates de Wolfgang, il sut en faire vivre l’enfance virtuose, dans un jeu très physique. Passer ainsi des Préludes de Debussy aux Sonates de Mozart s’avérait passionnant pour les festivaliers que nous étions, revenant ainsi à la matrice, car on sait la vénération qu’avait Debussy pour Mozart. Mozart commença à écrire ses Sonates en 1774, et ne cessa pas jusqu’en 1789. Dix-huit sonates qui sont des modèles d’équilibre et de grâce. Le voyage mozartien se poursuivit ce samedi, mais en une tout autre ampleur, au Nouveau Siècle, la « ruche » du festival dirait François Bou, le directeur des lieux, de ce festival de pianos qui célèbre aujourd’hui ses vingt ans. Alors que le soir même, l’Orchestre National de Lille, dirigé par son chef historique, Jean-Claude Casadesus, s’apprêtait à offrir ses concertos, ce fut l’après-midi la phalange invitée et voisine de la métropole lilloise, l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, qui offrit trois très beaux concertos du jeune Mozart. En premier lieu, le formidable Concerto numéro 5, interprété par le pianiste Pierre-Laurent Aimard. Un moment inouï qui permit à l’orchestre d’accompagner le pianiste dont on connaît le talent classique, mais aussi pour la musique contemporaine, donner sa vision singulière, hors de tout sentier battu, du concerto mozartien. Un moment rare, très apprécié par le public de l’Auditorium. Ce fut ensuite un charme délicat que le concerto pour trois pianos qui donne l’image d’un Mozart de vingt ans, sur le point de déployer ses moyens. Nous sommes alors encore dans les années 1770, le jeune homme de Salzbourg offre une partition à l’impératrice d’Autriche et à ses filles, avec toute la délicatesse que suppose ce genre d’oeuvre. Enfin s’exprima le Mozart pleinement adulte, dans le Concerto pour piano numéro 12, interprété avec assurance et élégance par Cédric Tiberghien. Une dérive dans la jeunesse de Mozart qui inscrira dans nos mémoires des instants musicaux vibrants.