Au Domaine d’O, la 38e édition du festival montpelliérain fait la part belle aux drames d’hier. Des Atrides à Tchekhov, le rire n’est jamais loin des larmes. 

 Sous la luxuriante pinède du domaine d’O, la tramontane souffle en rafales, rafraîchissant quelque peu l’atmosphère. En ce soir d’ouverture, Tchekhov est à l’honneur. Face à face, se retrouve Platonov, l’œuvre de jeunesse du dramaturge russe, totalement revisitée par Cyril Teste, et l’une de ses plus célèbres tragédies, La Mouette, resserrée autour de cinq personnages par l’argentin Guillermo Cacace. Si le premier, caméra au poing, emporte le drame de cette bourgeoisie décadente du XIXe siècle sur les rives d’une oisiveté cynique, le second tire les fils d’une tragicomédie toute almodovarienne. 

Que dire de La Mouette, aujourd’hui ? Comment l’ancrer dans le temps présent ? Guillermo Cacace fait le choix de l’intime. Après un prologue qui rappelle la situation politique et sociale catastrophique de son pays après l’ascension au pouvoir de l’ultralibéral Javier Milei, ainsi que la difficulté de créer aujourd’hui quand on pense autrement, il se débarrasse de tout ce qui fait théâtre, ou presque, pour se concentrer uniquement sur le jeu intense et ardent de ses cinq comédiennes, toutes fantastiques. L’espace est réduit, une cabane au cœur des pins. Pas de scène, pas de plateau, juste une immense table, jonchée de chips, de mouchoirs et autres verres de vin, autour de laquelle sont installées les cinq comédiennes, rejointes par une poignée de festivaliers, les autres prenant place sur les deux rangées de gradins juste derrière. En faisant fi du quatrième mur, en rendant palpable les émotions des personnages, le metteur en scène magnifie l’œuvre tchekhovienne en y insufflant ce petit truc très Amérique latine, entre mélodrame et burlesque. Tout simplement jubilatoire ! 

Loin de la « caliente » sud-américaine, de cette folie latino qui donne des couleurs chamarrées à la morosité du quotidien, Cyril Teste emporte les personnages de Platonov dans un tourbillon frénétique, mais qui a du mal à dépasser l’entre-soi. Le drame bourgeois auquel il convie les spectateurs, se fige sur le grand écran qui surplombe la scène et finit par écraser le théâtre qui tente d’exister au-dessous. Le fil qu’il tire de l’œuvre, écrite à 18 ans par le dramaturge russe, est simple, donner à voir les petits drames, les animosités qui fissurent, l’alcool aidant, les amitiés, les soirs de fête. Hôtesse désargentée (flamboyante Olivia Corsini), invite, comme chaque été, un petit groupe de connaissances – trente spectateurs sont conviés à rejoindre le plateau et à se mêler aux artistes- à partager ses soirées autour d’un buffet avec de la bonne musique. L’ambiance est euphorique, bien qu’un peu forcée, mais l’arrivée de Micha-Platonov va cristalliser les tensions. Les caméras indiscrètes vont scruter les moindres anicroches, toutes finalement assez banales. Les couples se font, se défont, les vifs emportements se sont calmés, rien ne s’est passé, sauf le temps qui a filé, indifférent aux émois et tourments des protagonistes. 

Attention, l’hémoglobine ça tache et ça laisse des traces indélébiles. Quittant le spleen slave, Jean-François Sivadier et une partie de la promo 23 du conservatoire national de Paris font la fête à la tragédie antique par excellence, la malédiction des Atrides. Séchez vos larmes, malgré les drames successifs, les vengeances sanguinaires, c’est le rire qui l’emporte par K.O. Avec une inventivité folle, qui s’autorise toutes les digressions, même les plus kitchs, les plus potaches, sans jamais tomber dans le trivial, le metteur en scène manceau réécrit l’histoire d’Iphigénie, d’Atrée, de Clytemnestre, d’Électre et d’Agamemnon et nous entraîne dans une folle aventure déjantée autant que granguignolesque. Porté par des jeunes comédiennes et comédiens tout feu, tout flamme, Ce portrait de famille, qui conclut ce premier week-end de haute volée, est une gourmandise qui se déguste sans modération ! Pourquoi se priver ?. 

Printemps des comédiens, au Domaine d’O, Montpellier jusqu’au 21 juin