Rencontre avec l’américaine Lydia Steier, metteure en scène qui a fait parler d’elle pour une Salomé haute en couleurs, et qui revient aujourd’hui à l’Opéra de Paris avec La Vestale de Spontini. Elle y propose une dystopie assez fascinante. D’autant plus avec le ténor Michael Spyres dans l’un des rôles majeurs…

Diriez-vous que La Vestale est un chef-d’œuvre oublié ? 

Avant de travailler sur cet opéra, je dois vous avouer que je n’en connaissais que le fameux aria chanté par Maria Callas, Tu che Invoco. Je ne sais pas si je parlerais si facilement de chef-d’œuvre. C’est une œuvre importante, sans aucun doute, mais dramatiquement, c’est extrêmement linéaire, et ce fut un défi formidable pour nous de la rendre plus complexe, et pertinente pour l’œil moderne. C’est un peu comme la musique baroque, elle peut être très carrée, plate, ou fascinante, selon l’interprète : quand William Christie interprète Rameau, c’est parfait, quand c’est un étudiant de première année, ça n’a aucun intérêt. Il y a des pièces qui sont en grande partie déterminées par leur interprétation. 

A l’Opéra de Paris, on a vu récemment votre Salomé, dont l’esthétique sanglante a marqué le public. Aborderez-vous la Vestale de la même manière ? 

Les deux opéras n’ont rien à voir. Salomé est un opéra presque parfait, et si connu, que l’enjeu était d’en offrir une lecture explosive, telle qu’elle eut lieu lors de sa création : c’est une œuvre controversée, Oscar Wilde lui-même le disait. Je voulais donc retrouver ça et rentrer en dialogue avec les attentes du public, qui sont très importantes pour Salomé. Or, pour La Vestale, le public n’a aucune attente, j’ai l’impression presque de travailler sur un nouvel opéra dont il faudra que je montre les enjeux avec un peu plus de clarté. 

Vous avez choisi la dystopie pour aborder La Vestale, et je vois derrière vous la reproduction de l’amphithéâtre de la Sorbonne, quel rôle jouera-t-il dans votre mise en scène ? 

Je crois toujours qu’il faut trouver dans n’importe quel opéra du répertoire que je peux monter, un moyen de m’adresser au public face à moi. Et cela ne signifie pas forcément faire appel à des symboles contemporains. J’ai fait plusieurs opéras en costumes, mais en abordant des thèmes d’aujourd’hui. Je ne veux pas faire de l’opéra un musée. La Vestale a été écrite comme une œuvre de propagande en faveur de Napoléon. Ce qui est intéressant dans La Vestale, c’est que l’opéra dépeint une société où seules deux vertus existent : le militarisme et la religion. On peut réfléchir à quel univers cela renvoie aujourd’hui, à quel type de théocratie, à quel type d’autocratie ? Une société sans intelligentsia, sans culture, sans liberté intellectuelle. Bien sûr, on pense à l’Iran ou à l’Afghanistan. Mais je ne voulais pas faire un opéra qui reprendrait simplement la réalité de la révolution islamique. L’un de mes auteurs préférés est Margaret Atwood, j’ai été profondément marquée par La Servante écarlate, et par sa dimension prophétique. Nous posons d’ailleurs la même question qu’elle : dans une théocratie, l’amour peut-il même exister ? Margaret Atwood imagine que les Etats-Unis ont été transformé par un coup d’État d’un groupe qui se désigne comme la « république de Gilead » qui a son fief dans l’université de Harvard…Bien sûr les livres sont brûlés, les bibliothèques sont vidées, et ce centre de la pensée mondiale devient une coquille vide. Ils accomplissent une sorte de génocides d’idées. Nous avons repris la même idée, mais en le plaçant à Paris, et comment représenter le lieu le plus intellectuel français, sinon la Sorbonne ? Mais une Sorbonne qui deviendrait elle aussi centre de la violence. Nous cherchons à mettre en garde le public, et à montrer à quel point sans littérature, sans art, sans lieux de pensée, nous serons perdus. Je voulais dépeindre l’horreur d’une société sans liberté de penser. Et dans une époque où la censure monte de l’extrême gauche comme de l’extrême droite dans différents pays du monde, il nous paraissait essentiel de rappeler que si les débats, la liberté d’exprimer ses points de vue de manière modérée disparaissent, quelque-chose de terrifiant prendra leur place. 

La Vestale de Spontini du 15 juin au 11 juillet à l’Opéra National de Paris