Nouvelle mouture d’Ionesco suite signée Emmanuel Demarcy-Mota et une troupe camerounaise joyeuse et virtuose à voir aujourd’hui au Théâtre de la Ville.

Par Oriane Jeancourt Galignani

Il est frappant comme des interprètes peuvent transformer une œuvre, jusqu’en ses profondeurs. Et ce sous la conduite d’un metteur en scène qui a l’art de repenser inlassablement ses pièces, même vingt ans après leurs créations, partant du principe d’un théâtre comme art inépuisable. C’est la première réflexion que l’on peut se faire face à Ionesco suite, qui se recréé ce weekend au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, sous la houlette d’Emmanuel Demarcy-Mota, dix-neuf ans après sa première. Non pas dans la salle principale, mais dans les sous-sols, dans une salle réservée à une cinquantaine de spectateurs. Au cœur d’un weekend dédié au Cameroun, Ionesco suite était donc endossé par des acteurs camerounais qui ces derniers mois suivirent des répétitions ave le metteur en scène à distance, et la troupe du Théâtre de la Ville, qui avait créé la pièce il y a près de vingt ans, pour arriver à cette première. Ionesco suite s’avère un des plus grands succès de la troupe, joué dans nombre de pays. Pièce née d’une recherche menée par les acteurs et le metteur en scène à partir d’extraits du théâtre d’Ionesco, de la Cantatrice chauve, la plus célèbre de ses pièces, aux plus méconnus comme Jacques ou la soumission, Ionesco suite offre à ses sept comédiens une piste de loufoquerie, de changements de registre, et de virtuosité assez extraordinaire. A tout cela, les acteurs camerounais ont été fidèles : les acteurs jouent à un rythme  molto presto, empruntant aux clowns comme au slapstick. Nous sommes dans la comédie et sa mécanique athlétique, qu’ils tiennent de bout en bout. Le maquillage blanc qui masque chacun de leur visage donnent le la des clowneries qui se succèderont : ainsi retrouve-t-on la fameuse scène de la Cantatrice chauve : on sonne à la porte, personne n’y est, Madame Smith y retourne trois fois, jusqu’à ce que « l’expérience nous apprend que lorsqu’on sonne à la porte, c’est qu’il n’y a jamais personne », jusqu’à ce que le capitaine des pompiers se présente, et s’offre un show burlesque.  Mais ce n’est qu’un moment d’une succession de scènes qui sont autant de variations burlesques sur la violence des relations ; ainsi la pièce s’ouvre sur un dîner familial où père, mère, et sœur s’acharnent sur le fils maudit de la famille, puis dévie vers la violence du couple, la fameuse dispute de la tortue et du limaçon de Délire à deux, y est magnifiquement incarnée, ou autres affrontements de tartes à la crème. Les comédiens camerounais appuient sur le grotesque et les grimaces afin de faire monter une violence inquiétante qu’ils distillent dans la salle avec maestria. Mais bien sûr, nous sommes chez Ionesco, et l’athlétisme est d’abord celui du langage : jeu de mots, dérives, poésie de l’absurde. Nous y sommes de bout en bout, mais s’ajoute à cela, une féérie camerounaise, très inattendue. Un jeu sur le fil du surréalisme et de la fantaisie,une énergie de cette jeune troupe, qui revigorent une pièce dont depuis près de vingt ans, on ne se lasse pas.