Rencontre avec Stephan Gehmacher, directeur de la Philharmonie du Luxembourg et du Luxembourg Philharmonic, qui nous dévoile les temps forts de la saison 24/25. De Sir Simon Rattle à Gustavo Dudamel, de grands moments musicaux en perspective.

Il est frappant dans votre saison, de voir le nombre de grands noms qui s’y bousculent : Cécila Bartoli, Yo-Yo Ma, Gregory Sokolov, Sir Simon Rattle…

On adore la musique, on veut les meilleurs dans le domaine et les noms que vous citez sont des musiciens avec qui nous avons établi des relations depuis plusieurs années. Et nous essayons d’honorer nos relations avec les artistes car nous les choisissons avant toute chose pour les projets que nous pouvons imaginer avec eux. Par exemple, avec Sir Simon Rattle, nous élaborons depuis quelque temps des évènements particuliers. Avec Cecilia Bartoli, c’est la même chose, à chaque nouvelle saison, elle développe de nouveaux projets et nous sommes toujours partants pour l’accompagner. Voilà pourquoi on la retrouve chez nous. 

Quel est le projet particulier que vous allez mener avec Sir Simon Rattle ? 

L’année prochaine, nous fêtons son anniversaire. Il aura soixante-dix ans, et nous avons l’ambition de le célébrer avec lui. J’ai une relation personnelle avec lui, parce que nous avons travaillé ensemble à l’orchestre philharmonique de Berlin. On se connaît, on sait ce que l’autre apprécie. Ce qui est un bon fondement pour construire des projets communs. On a donc prévu deux concerts les 15 et 16 janvier, le premier intitulé « Lessons in love » autour d’une œuvre de Benjamin avec Barbara Hannigan, soliste avec laquelle il travaille beaucoup, et la quatrième de Brahms, et le deuxième, c’est une commande qu’on a faite auprès de Mark-Anthony Turnage d’un concerto pour guitare avec le guitariste John Scofield, et accompagné du Concerto pour piano numéro 4 de Beethoven. Il n’y a pas beaucoup de maisons en Europe continentale qui soient ouvertes à de tels projets, mais nous, au contraire, les cherchons.

Parlons aussi de Gustavo Dudamel qui vient chez vous avec son orchestre du Venezuela…

Oui, c’est un orchestre qui est devenu un symbole, et je suis très content que Gustavo ait recommencé à travailler avec eux, malgré les conditions politiques difficiles. Cet orchestre de jeunes est devenu un modèle pour beaucoup dans le monde, sur la même idée de promouvoir l’éducation de la musique, et de choisir les meilleurs de ces jeunes interprètes pour composer un orchestre. C’est « El Sistema » au Venezuela qui a inventé cet apprentissage spécial de la musique destiné aux jeunes de milieux défavorisés. Et aujourd’hui, ils ont réussi à stabiliser et nourrir entre 300 000 et 400 000 enfants chaque année. Ceux qui voyagent aujourd’hui en Europe sont des musiciens professionnels qui, grâce à Gustavo, sont devenus connus dans le monde entier. Voilà pourquoi nous voulions les inviter cette année. 

A vous écouter, et à lire votre programmation, il est frappant de constater la diversité des musiciens que vous invitez…

Oui, absolument, et des styles de musique que nous proposons. Nous proposons beaucoup de jazz, jusqu’au free-jazz. Nous voulons aussi montrer la diversité du Luxembourg dans notre programmation, afin d’attirer le public le plus divers possible : nous avons dans notre pays 70% des habitants sont nés en dehors du pays, et d’à peu près partout dans le monde. Voilà pourquoi nous pouvons inviter par exemple un musicien italien, essentiellement connu dans son pays, mais qui trouvera son public ici. 

Jusqu’au festival Atlântico, que vous organisez en octobre, consacré aux musiques lusophones…

Oui, nous invitons beaucoup de musiciens d’Angola, du Cap-Vert, du Brésil, mais aussi du Portugal. 15% de la population du Luxembourg ont des origines lusophones, et nous voulions entamer un dialogue avec eux. 

Vous n’hésitez pas aussi dans votre programmation de vous adresser à tous types de public, en proposant de la musique contemporaine, Boulez, Benjamin, et des ciné-concerts, notamment un autour d’Indiana Jones…

Absolument, et même dans les ciné-concerts, nous avons une proposition très variée, d’une part, des films accompagnés de musique contemporaine, et d’autre part, des blockbusters, comme Ratatouille…Toujours la même idée, mélanger les projets populaires, et les projets plus éclectiques. 

Dans quelle mesure la période de la pandémie a transformé le rapport de la philharmonie au public ? 

Je dirais que c’est une période qui nous a beaucoup appris. Au début, nous avons perdu pas mal de public, surtout les plus âgés, mais on a trouvé un nouveau public entre-temps, et aujourd’hui, les salles sont remplies aussi bien qu’avant, et même mieux. Il y a aussi une certaine souplesse des musiciens, qui n’hésitent pas à changer de programme avant un concert…

J’ai l’impression qu’à l’image de l’engagement que l’on connaît du Luxembourg, vous avez une programmation très européenne…

Oui, c’est l’idée. (rires). Mais aussi de promouvoir la scène locale, et croyez-bien que nous sommes toujours surpris de voir le nombre de talents que l’on peut trouver dans un pays si petit ! Mais en effet, pour l’Europe, je prends un exemple : nous invitons le chef allemand Thomas Hengelbroch, et pour le même répertoire, nous invitons Jordi Savall : chacun à leur manière va apporter une approche différente. 

Il y a aussi un projet qui réunit différentes institutions culturelles au Luxembourg, dont la Philharmonie, c’est « Red Bridge », pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit ? 

Cette année, le projet s’organise autour de l’artiste chorégraphe Lemi Ponifasio. C’est le troisième projet de ce type que nous organisons : la première était Anne-Teresa de Keersmaeker. L’idée est d’occuper les trois institutions, le Mudam, donc le musée d’art moderne, le Grand Théâtre et la Philharmonie, afin de monter une programmation autour d’un artiste qui est actif dans les trois domaines : le théâtre, la musique, et les arts plastiques. Lemi Ponifasio est plus tourné vers la musique et le théâtre, et a proposé de très beaux projets. Chez nous, il s’agira de Sea Beneath the Skin, présenté le 14 juin, un concert mis en scène qui mêlera Le Chant de la terre de Mahler et des chants traditionnels du Pacifique. 

Que diriez-vous de la particularité de cette saison ? 

Nous célébrons cette année un certain nombre d’anniversaires qui vont sans doute orienter notre saison : nous fêterons le vingtième anniversaire de la Philharmonie, le dixième anniversaire de la collaboration de notre chef Gustavo Gimeno à l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, qui nous quittera ensuite pour aller à Madrid, et le quinzième anniversaire de la fondation AIMER, qui signifie écouter pour mieux entendre, et qui regroupe toute la dimension sociale de notre activité, tournée vers les publics qui n’ont pas accès à la musique. Et si nous ne les fêtons pas particulièrement, je crois que ces anniversaires vont influencer tous nos projets.