Kevin Powers, que nous avions repéré pour son livre Yellow birds, signe un roman noir Point de rupture efficace et habité.

À la parution de Yellow birds, Tom Wolfe en personne soutenait que Kevin Powers avait écrit là « le A l’ouest rien de nouveau des guerres américaines en terre arabe ». Finaliste du National Book Award, le premier livre de l’Américain qui avait combattu en Irak en 2004 et 2005 frappait par son étonnant mélange de lyrisme et de retenue. On pouvait y entendre des échos du Merdier de Gustav Hasford dont Stanley Kubrick s’était emparé pour Full Metal Jacket. Lequel Hasford avait ensuite prouvé son talent indéniable pour le polar en signant l’épatant Le coup du gitan traduit à la « Série Noire ». Un registre également choisi aujourd’hui par Kevin Powers dans Point de rupture. L’affaire se déroule à Norfolk, en Virginie. Là où Arman Bajalan vit désormais après avoir été témoin d’un massacre, puis gravement blessé avant de perdre sa femme et son fils. Réfugié après avoir obtenu un visa spécial, il a été auxiliaire interprète pour le compte de l’armée américaine à Mossoul, province de Ninive, en Irak. Arman est aujourd’hui agent d’entretien au Sea Breeze Motel sur Ocean View. Il dit avoir « plus le sentiment d’être un fantôme qu’un homme ». Chaque matin, à l’aube, cet être solitaire quitte son petit appartement à côté de l’aéroport militaire pour aller nager, fendre les vagues, avant de commencer son service à huit heures. Une routine sérieusement entachée le jour où il tombe nez à nez avec le corps d’un inconnu en costume. Le défunt s’avère avoir environ quarante ans et une bonne condition physique. Sur lui, pas de portefeuille ni de pièce d’identité. Juste une pochette d’allumettes, une clé, une montre de bonne facture et un billet d’autocar aller-retour Washington-Norfolk. Le lieutenant Catherine Wheel de la brigade criminelle et son équipier, le sergent Lamar Adams, démarrent aussitôt l’enquête. Dans les parages, on note également la présence de Sally Ewell. Journaliste pour le Virginian-Pilot, celle-ci a un sérieux problème d’alcool et maille à partir avec un dossier compliqué entre les mains. Où elle doit démêler l’implication d’une société militaire privée du nom de Decision Tree en cheville avec le gouvernement. Et attend un rendez-vous que lui a fixé son contact. Rapidement, les cadavres commencent à s’amonceler dans les parages. Et le passé d’Arman Bajalan lui revient en pleine face. Catherine Wheel et Lamar Adams vont devoir veiller sur lui comme sur Sally Ewell. En essayant d’assembler toutes les pièces d’un puzzle complexe. Kevin Powers, lui, tient solidement les rênes d’un roman noir dont les personnages luttent sans cesse avec leurs démons intérieurs. Incarné et efficace, Point de rupture mérite le détour pour son subtil dosage d’action et de psychologie.

Kevin Powers, Point de rupture, traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, Stock, 416 p., 23€