Rencontre avec Mathieu Dussouillez, directeur de l’Opéra de Lorraine, qui nous dévoile les temps forts de la prochaine saison à Nancy. Une ligne directrice : faire découvrir les talents méconnus de toute l’Europe.

Comment abordez-vous la saison 24/ 25 à l’Opéra de Lorraine ? 

C’est la cinquième saison que je programme. Évidemment, au cours de cette période il y eut le covid, l’une des périodes les plus difficiles que nous ayons dû affronter. La question est d’ailleurs de savoir si nous sommes définitivement sortis de la période post-covid…Nous avons du mal à recruter des métiers de la technique et de la communication, et je pense que ça vient de là. La question de l’engagement dans le métier de la culture a été affirmée par le covid, qui a poussé, on le sait, beaucoup de gens à sortir du réseau professionnel du spectacle. Et puis en ce moment, on atteint un sommet de tension chez le public. 

Vous venez de renouveler Marta Gardolinska en tant que directrice musicale de l’opéra, qu’est-ce que cela annonce comme continuité ? 

C’est la seule directrice musicale d’opéra en France. Ça ne veut pas dire que demain, il n’y aura pas un homme, mais je suis content de ce signal positif, d’un point de vue social et artistique. Elle apporte beaucoup non seulement par ce qu’elle incarne, mais aussi par son approche différente du travail avec les musiciens. C’est un point fort de l’histoire de cette maison.

Vous n’hésitez pas à convoquer des metteurs en scène contemporains et iconoclastes, je pense par exemple à la création en avril dernier du Lac d’argent, par le metteur en scène allemand Ersan Mondtag…La prochaine saison comportera-t-elle de telles propositions ? 

Le thème de la saison prochaine, c’est la transgression. 

Ça promet !

Oui, transgression esthétique, politique, sociale et musicale. On ouvrira la saison avec une création, triptyque lyrique sous le titre « Héroïnes », dans lequel on associera trois œuvres : Le Château de Barbe-Bleue de Bartok, Sancta Susanna d’Hindemith et La Danse des morts de Honneger. J’ai confié le projet à un metteur en scène qui s’appelle Anthony Almeida anglais, qui a une intuition des œuvres très forte, et dont je trouve le travail, pour le moment inconnu en France, très intéressant. La danse des morts d’Honegger, est une danse joyeuse de squelettes, il utilise des musiques populaires, comme sur le pont d’Avignon, et joue avec des contrepoints musicaux. Ce sont des œuvres transgressives, réunies par le parcours d’une femme, qui traverse différents âges et états à travers les différentes œuvres. C’est une œuvre autour principalement de femmes, Sancta Susanna ce ne sont que des femmes. Ce sera je l’espère un moment lyrique assez fort. Puis on fera la Cenerentola de Rossini, on connaît tous l’histoire de Cendrillon, mais nous serons loin de Disney, chez Rossini, il y a au centre l’idée que le prince choisi la fille cachée, plutôt que les autres. 

En janvier, on aura une œuvre très intéressante et rare intitulée Amour à mort mise en scène par Jean-Yves Ruf et dirigée par Garcia-Alarcon d’après Il combattimento di Tancredi e Clorinda de Monteverdi. 

Vous présentez aussi un nouvel Eugène Onéguine dirigé par Marta Gardolinska, comment s’annonce-t-il ? 

Eugène Onéguine, c’est l’opéra de l’échec de l’amour, de l’illusion, de l’amitié. Une tragédie à tous les niveaux. C’est Julien Chavaz qui mettra en scène, un artiste suisse, jeune, qui a un regard poétique et efficace aux œuvres, et qui fait un très beau travail sur le répertoire, en essayant d’obtenir l’adhésion du plus grand nombre. J’aime cette recherche de transmission, quitte à offrir plusieurs niveaux de lecture à laquelle parviennent certains metteurs en scène.

Vous avez un tropisme germanique dans le choix des artistes, non ? 

Oui, Nancy s’y prête bien. Mais je tiens vraiment à ne pas faire de cet opéra le clone d’autres scènes, j’aime bien qu’ici, on voie des choses que l’on ne voit pas ailleurs. L’idée est d’être à l’émergence artistique, l’émergence d’artistes à forte notoriété ailleurs…

Par exemple Ersan Mondtag déjà reconnu outre-rhin…

Oui, et même un peu partout en Europe, actuellement, il tient le Pavillon allemand de la Biennale de Venise. Je suis très content qu’il ait fait ici sa première parisienne, et qu’on le retrouve à la saison prochaine dans la programmation de l’Opéra de Lyon. Le mois prochain, pour clore notre saison, il y aura Les Capulet et les Montaigu, mise en scène par Pinar Karabulut, artiste germano-turque, très reconnue en Europe, puisqu’elle vient de prendre la direction de la Schauspielhaus de Zürich. Elle incarne cette génération de femmes de 30-35 ans qui dirigent des institutions. Elle a gagné beaucoup de prix, elle a été suivie par des articles même dans le New York times, et je suis très content qu’on la voit pour la première fois en France ici, à Nancy.

Autre création à venir l’année prochaine, L’Avenir nous le dira, co-produit avec l’Opéra de Lyon, un opéra contemporain où l’on retrouvera notamment une artiste à l’esthétique frappante, Alice Laloy. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Oui, ce sera écrit par la compositrice Diana Soh, et écrit par la librettiste Emmanuelle Destremau. Comme source d’inspiration, on peut citer Sa Majesté des mouches ou Deux mois de vacances de Jules Vernes. C’est-à-dire l’histoire d’enfants qui se retrouvent seuls, sans adultes, et qui décident de créer leur propre société. Dans quelle mesure les enfants vont-ils recréer une société à l’image de la société adulte, même pire ? Diana Soh va aussi écrire à propos des machines-objets qu’Alice Laloy va développer. Ce sera autour d’une maîtrise d’enfants, celle de l’opéra de Lyon, avec qui Alice Laloy va pousser les enfants au plus loin. 

Et la clôture de la saison, L’Elixir d’amour…

Oui, là aussi la transgression, le héros tente d’arracher l’amour alors que rien ne lui était promis. C’est une production qui existe déjà, signée David Lescot. C’est une mise en scène d’aujourd’hui, très organique, et universelle. Mais un des évènements de la saison, puisque la saison se clôt par une autre création, qui s’inscrit dans ma réflexion sur les formes théâtrales, et process, mais à l’opéra. C’est notre Nox # 3, qui s’appellera Les Incrédules, porté par Samuel Achache et Sarah et l’équipe de l’orchestre La Sourde., avec l’idée d’une dialectique qui s’installe entre orchestre au plateau, musiciens au plateau, et orchestre dans la fosse. Et en parallèle de cela, l’utilisation à la fois de comédiens, et de chanteurs. Une recherche de la frontière entre opéra et théâtre musical. Et ce à partir d’une thématique forte, le miracle. Qu’est-ce que le miracle en 2024, dans une époque de progrès scientifique et en même temps, de la persistance de la foi en miracles chez beaucoup de gens. On devine la poésie intime qui peut se dégager d’un tel sujet. Et quand on sait comme cette équipe peut passer du burlesque à l’émotion sensible en quelques notes de musique, j’espère qu’ils vont pousser le curseur de l’opéra assez loin. 

Et dans votre saison symphonique, est-ce qu’il y a un concert que vous retiendriez particulièrement ? 

Oui, en miroir d’Eugène Onéguine, Marta dirigera un concert intitulé « Âmes slaves », qui mêlera les œuvres d’une compositrice ukrainienne, Iryna Aleksychuk, qui a écrit une pièce sur l’exil des femmes, un magnifique concerto d’une polonaise du début du XXe siècle, trop méconnu, virtuose du violon, qui s’appelle Grazyna Bacewicz, et on finira par les Danses slaves d’Antonin Dvorjak, pour convaincre le public d’aller découvrir ces deux magnifiques compositrices de l’est. On continuera aussi nos concerts pour les plus jeunes, qui ont beaucoup de succès. 

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