C’est un Macbeth horrifique et sophistiqué que propose Silvia Costa à la Comédie Française. Une mise en scène à interroger, des comédiens comme toujours impeccables.
Un Macbeth en lanterne magique. Un Macbeth qui n’aurait besoin de convoquer aucun spectre, puisque tous les personnages seraient déjà des fantômes. A l’image du vieux Duncan, ici Alain Lenglet qui apparaît en prophète égaré dans le monde perdu de l’Ecosse médiévale. Un Macbeth qui choisirait de nous plonger, in medias res, dans l’esprit de l’homme ivre de pouvoir et de sang. Ce ne serait ainsi plus le seul Macbeth et sa femme qui basculeraient dans le délire, mais le monde sur scène qui serait engendré par l’irrationnel. Et ce dès le début, à l’image de l’anneau immense qui descend peu à peu sur scène, et sur Macbeth. Ce symbole wagnérien donne le la d’une mise en scène qui joue d’images et semble souvent emprunter à l’opéra. Sylvia Costa pense le théâtre en partant de la scénographie. Le lieu engendre les gestes. L’inanimé anime les corps. Nous le savions pour l’avoir suivie dès ses premières créations en France, notamment le formidable Poil de Carotte il y a près de dix ans. Au théâtre ou à l’opéra, Costa, en digne disciple de Castellucci, pousse le dogme scénographique à son extrême, proposant un univers de décors et de lumières parfaitement sophistiqué pour recevoir les acteurs. Ici, les exceptionnels Julie Sicard et Noam Morgensztern en couple cruel et ambitieux. Dans leur jeu, ils s’inscrivent dans la tradition du couple Macbeth, l’une maitresse femme, castratrice s’il en est, l’autre faible et lâche. Mais Costa insiste sur un fait qui parfois échappe dans l’approche de la pièce : l’absence d’enfant du couple. Il est dit qu’il y en eut, que l’espoir du moins exista entre eux, mais qu’il n’est plus. Il y a un enfant mort entre Lady et Sir Macbeth. Et de lui découlerait, peut-être, la morbidité générale de la pièce. L’idée, mise en avant de manière très claire dans l’exceptionnelle traduction de Bonnefoy, est reprise dans la mise en scène : ainsi une scène voit Macbeth/ Morgensztern se placer à genoux aux côtés de sa femme, une tétine à la bouche. Puisque Lady Macbeth n’a pas d’enfant, Sir Macbeth sera celui-là.
Mais ne croyez pas que l’approche de Costa soit psychanalytique. Si sa mise en scène table sur le cauchemar, il est clair que Costa s’amuse à engendrer ses propres visions plutôt que d’offrir l’analyse des personnages. Ainsi les sorcières qui sont ici homme et femmes, très présentes sur scène, nous placent par leur jeu et leurs costumes dans un lieu surréaliste, qui relève aussi bien d’un XVIIIe libertin que du gothique. Le confessionnal placé sur scène pour accueillir les fameuses visions de Macbeth lors du banquet, s’inscrit dans cette même réinvention d’horreur classique. En cela, Costa est on ne peut plus fidèle à la pièce, et à ses origines médiévales : Macbeth est l’une des plus complaisamment noires de Shakespeare, avec Titus Andronicus. Macbeth a arraché son pouvoir par le meurtre et ne cessera ensuite de vivre dans la terreur de le perdre. Costa cherche à nous placer au cœur de la peur du tyran. Le pari est audacieux, les images parfois superbes. Seul problème, l’immobilité des acteurs. Les tableaux figent, alors même que la violence de la pièce permet normalement une circulation machiavélique sur scène. Les gestes sont condamnés à la raideur et l’on aimerait tant que les comédiens puissent par instants retrouver leur liberté de mouvement. Ce Macbeth est une somptueuse maison de poupées.
Macbeth, William Shakespeare, adaptation, mise en scène et scénographie de Silvia Costa, Comédie française, jusqu’au 20 juillet.