Sous la forme d’un dialogue pédagogique dans une civilisation méconnue, le roman initiatique d’Édouard Bureau explore les enjeux de la formation d’un souverain. Une réussite.

L’empire d’Akkad régna sur la Mésopotamie pendant deux millénaires, dès la fin du xxive siècle avant J.-C., à l’apogée de l’Âge du bronze. Des tablettes cunéiformes, en akkadien ou en sumérien, évoquent cette civilisation florissante dont la dynastie royale a marqué l’histoire du territoire fertile qui s’étend entre le Tigre et l’Euphrate, au nord-ouest du golfe Persique. C’est à l’époque où cet empire se désagrège en raison de rébellions internes et de l’invasion imminente de barbares, les Goutis, originaires des monts Zagros, qu’Édouard Bureau a situé son roman. Le jeune prince Shu-Durul, descendant de Sargon et de Naram-Sîn, les rois qui fondèrent Akkad, écoute l’enseignement de son précepteur, Ur-Samhu. Pour être classique, ce dispositif n’en est pas moins séduisant, le lien entre les deux hommes rappelant celui d’Aristote avec son disciple Alexandre le Grand ou du cardinal Mazarin avec le futur Roi-Soleil.

Les leçons d’Ur-Samhu abordent tous les domaines que doit connaître un souverain : la justice, l’éthique, partant les rapports entre les hommes ; Édouard Bureau met l’accent sur l’amour et l’amitié, comme le fait Marguerite Yourcenar dans Mémoires d’Hadrien, alors que la question du pouvoir et de la capacité à l’exercer devrait figurer au premier plan. Entre deux maximes elliptiques (« L’homme est un refuge pour l’homme »), le précepteur, exilé d’Élam, s’épanche ; il raconte à son élève son enfance tragique, son expérience de pêcheur de perles, de soldat et de sybarite avant l’heure. Propos plus improbables qu’édifiants, si paraboliques qu’ils se veuillent, mais peu importe puisqu’ils donnent matière à de jolies descriptions littéraires. Shu-Durul aime Tuta-Shar-Enet, « sublime nubile, semblable en tout point à la lune » : « À ses oreilles pendaient de rondes boucles d’ivoire, larges comme un baiser et qui pourtant ne semblaient pas pesantes. » Ailleurs, l’érotisme se teinte d’un lyrisme solennel à la Lautréamont : « Ô séduisants artifices, comme vous vous plûtes à révéler les pupilles d’Amo-Guppi, ainsi que vous le fîtes autour du regard d’Ishtar ! »

En dépit de maladresses — solécismes, hellénismes, tautologies, préciosités, lexique d’ailleurs plus désuet qu’archaïque, changements de point de vue aléatoires, etc. — qu’on attribuera à la jeunesse de l’auteur (né en 1992), ce roman ne manque pas de souffle ; son style coulant, baroque, voire grandiloquent, vous enivre comme un narcotique oriental : bercé par ces arabesques hiératiques, on a l’impression de fumer un narghilé. Ainsi Flaubert, auquel le romancier a dû songer, atteignait-il à l’extase exotique quand il écrivait Salammbô. L’écueil du pastiche et du kitsch, c’est-à-dire du péplum, n’est jamais loin, mais mieux vaut un livre touffu, ébouriffé, qu’une prose trop bien peignée, scolaire, qui sente l’huile. La question du dosage n’en demeure pas moins fondamentale. Un excès de piment dénature le goût des autres ingrédients et l’on se précipite sur son verre d’eau (ou de vin) pour éteindre l’incendie.

Les Dernières Rêveries d’Akkad, Edouard Bureau, Le Cherche Midi 256 p., 19,50 €