Le dernier roman de la critique et éditrice Sophie Van der Linden nous fait découvrir le contexte de la passion picturale de l’artiste suédoise Anna Boberg.

Rares sont les écrivains qui réussissent à transposer l’expérience intime d’un peintre sur le plan biographique et artistique. Sophie Van der Linden compte parmi ces élus, comme en témoigne le récit dense et concis qu’elle a consacré à la vie et à l’œuvre de l’artiste suédoise Anna Boberg (1864-1935). On découvre cette dernière à la première personne, sous la forme d’une lettre adressée à son mari, l’architecte Ferdinand Boberg, auteur, à Stockholm, de quelques augustes édifices Art nouveau mâtiné de styles rococo et Empire.

       Polyvalente, Anna Boberg était connue de son vivant pour en avoir aménagé les intérieurs, les agrémentant de fresques et de tapisseries, mais aussi d’objets d’art, dont un célèbre vase Peacock pour la marque de vaisselle Rörstrand. Elle adorait les îles Lofoten, un archipel de la mer de Norvège, au nord du cercle polaire, réputé pour l’observation des aurores boréales. C’est là, à Fyrö, le « point des environs qui concentrait le plus de vues remarquables », que Ferdinand Boberg lui construisit une cabane ad hoc pour qu’elle vienne y peindre, avec ou sans lui. Fut-il inspiré par celle que le Norvégien Edvard Grieg s’était fait ériger à Lofthus, un village idyllique du Hardangerfjord, où il passait l’été à composer ? Si ce n’est qu’Anna, elle, préférait séjourner en hiver aux Lofoten, dans les conditions rudes et hostiles, un « enfer givré » que Sophie Van der Linden décrit à merveille.

       C’est un tableau représentant le massif du Store Molla, conservé au Musée national de Stockholm, qui a donné envie à la romancière d’entrer dans la peau de l’artiste. Tout en émaillant son récit de subtiles touches biographiques, elle raconte la genèse de cette œuvre en mettant l’accent sur la passion pour la couleur d’Anna Boberg dont la manière impressionniste doit beaucoup à Claude Monet, mais aussi à des peintres scandinaves comme Albert Edelfelt et Bruno Liljefors. Autodidacte, la Suédoise apprend sur le vif face à ce paysage polaire dont elle scrute les moindres métamorphoses, aspirant à « peindre du blanc qui ne soit pas l’absence, peindre une lumière qui ne soit pas matière ». Elle capte les « vibrantes oscillations chromatiques » de la montagne et restitue sur la toile l’eau du fjord, « dominée par le brun vert, mais comme éclairée par en dessous de turquoises », tout en « traquant les aurores boréales, par nature imprévisibles ». Ces apothéoses glorifient le ciel magnétique ; les variations métalliques de rose, de bleu ou d’orange la fascinent. Guère partisane de l’esquisse, elle convertit en peinture cette débauche de couleurs avant d’en affiner les nuances dans sa cabine-atelier. On imagine la brave walkyrie en transe dans ce décor glacial ; l’aboutissement de sa pulsion créatrice rend d’autant plus impérieuses les retrouvailles avec son mari. Par son urgence même, l’« appel tenace » des Lofoten se traduit en définitive par un manque. Et Sophie Van der Linden de suggérer qu’Anna s’éloignait de Ferdinand pour mieux se rapprocher de lui.

Arctique solaire, Sophie Van Der Linden, Éditions Denoël 128 p., 16 €