Préparant à l’Opéra du Rhin une merveilleuse rareté qui est le Guercoeur d’Albert Magnard, après un passage remarqué à l’Opéra Comique pour L’Autre voyage, le baryton Stéphane Degout nous raconte son histoire, de la campagne aux scènes d’opéra mondiales.
Quelles ont été, enfant, vos premières rencontres avec la musique ?
Mon enfance à la campagne ne m’a pas offert d’autre accès à la culture que la télévision, pourtant arrivée tard dans notre foyer, puisque jusqu’à l’âge de 10 ans, pour la regarder, il fallait aller le samedi soir chez notre arrière-grand-père qui habitait la ferme d’à côté. Le reste de la semaine, nous écoutions la radio au petit-déjeuner. Le mercredi après-midi, après le foot, on allait chanter avec un vieux musicien aveugle qui jouait de plusieurs instruments, dont l’harmonium de l’église. Puis j’ai découvert le théâtre par hasard à 14 ans, lors d’un stage d’été sur une péniche qui descendait le Rhône jusqu’à Avignon. Premier virus peut-être ? Un cadeau de France-Loisir, magazine auquel ma mère était abonnée, avait été un disque de L’Enlèvement au Sérail de Mozart. Je l’ai écouté en boucle, j’essayais de chanter sur la musique mais je n’arrivais pas à monter aussi haut que les ténors, ni à descendre aussi bas que la basse… Ce n’était pas pour moi. Et pour cause, il n’y a pas de baryton dans cet opéra ! Après d’autres stages, j’ai appris l’existence d’une classe de théâtre au lycée Saint-Exupéry de Lyon. Et c’est là que j’ai commencé la chorale et m’y suis fait remarquer : « Qui chante plus fort que tout le monde ? Viens devant et chante tout seul ! », m’a-t-on dit. Puis on m’a encouragé à continuer le chant et à entrer au conservatoire. Ce que j’ai fait. Ensuite, il y a eu l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Lyon et l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence. Pendant toutes ces années, envisager une carrière dans le chant était vertigineux et quasiment interdit, dans ma famille, à la campagne. On pensait au chômage, à la drogue, pour ne pas dire… à la luxure ! Alors sagement, j’ai travaillé dans les cuisines du restaurant de mes cousins. D’ailleurs, c’est un métier qui m’aurait certainement plu aussi.
Comment avez-vous fait vos premiers pas sur scène ?
Enfant, à l’école. Mais ce qui m’a le plus marqué, ce sont les spectacles que nous montions pendant ces stages de théâtre que je faisais l’été. La Dispute de Marivaux, puis d’autres, avec les copains du lycée : Antigone d’Anouilh, Le désir attrapé par la queue, de Picasso. Je garde encore des souvenirs assez vifs de ces moments forts pour moi. Et les premiers spectacles chantés, La Flûte enchantée à l’Académie d’Aix, Pinocchio à l’Opéra de Lyon.
Parlez-nous des rôles qui vous ont marqué…
Papageno est le rôle que j’ai le plus régulièrement chanté, pendant une douzaine d’années. Puis Pelléas, qui a été le pilier de mon répertoire durant huit saisons, jusqu’à ce que je décide qu’il était temps que l’on s’éloigne l’un de l’autre, à cause de l’évolution de ma voix et parce que Pelléas m’empêchait d’aller me frotter à des rôles plus lyriques. Cela m’a permis d’aller à la rencontre du Comte Almaviva, de Wolfram, de Thésée, d’Oreste, de Hamlet, de Rodrigue, et plus récemment de Wozzeck et d’Onéguine, qui resteront encore quelque temps inscrits à mon répertoire.
Et à l’Opéra Comique ?
Ce n’est pas la scène où je me suis le plus produit, mais c’est devenu très rapidement et spontanément un lieu où des liens amicaux et artistiques forts se sont tissés. C’est un théâtre que j’aime, dont l’histoire et l’activité me touchent. La production de Hamlet d’Ambroise Thomas, sous la direction de Louis Langrée, dans une mise en scène de Cyril Teste, a été donnée deux fois, en 2018 puis en 2022, et a remporté plusieurs prix Dans Hamlet, puis récemment dans Lakmé, j’ai encore partagé la scène avec Sabine Devieilhe, que j’ai rencontrée en 2012 avec Raphaël Pichon pour un Elias, puis pour La Passion selon Saint Mathieu. Ensemble, nous avons aussi fait des projets plus aventureux, comme les disques Enfers et Mein Traum. Et je viens de chanter dans L’Autre Voyage, toujours avec Raphaël, encore à l’Opéra Comique. C’est une relation fraternelle, facile, de grande confiance, évidente et naturelle.
On vous connaît peut-être un peu moins dans la musique contemporaine. Pourtant, il vous est arrivé de créer des œuvres.
Le répertoire contemporain m’attire vraiment et c’est assez naturellement que je me suis intéressé à la création. La Dispute de Benoit Mernier, Au Monde et Pinocchio de Philippe Boesmans, Lessons in Love and Violence de George Benjamin sont des musiques qui ont été écrites pour moi, sur mesure. Et c’est une immense chance. Ces expériences ont été très constructives, elles aussi ont posé beaucoup de questions nouvelles.
Vous allez contribuer à faire renaître Guercoeur, l’opéra oublié d’Albéric Magnard, à Strasbourg. En quoi ce projet est-il important pour vous ?
C’est Alain Perroux, le directeur de l’Opéra du Rhin, qui m’a parlé de cette œuvre et de son parcours chaotique, car Albéric Magnard n’est jamais parvenu à la faire monter de son vivant. Pourtant, c’est une musique passionnante ! Et l’époque aussi m’interpelle. J’aime beaucoup les années 1890-1900, celle de grandes remises en question et de recherches artistiques, mais aussi de la mélodie française, à laquelle je suis très attaché. Je ne saurai dire exactement ce qui me touche dans Guercoeur, certaines pages sont d’une grande beauté et parfois poignantes alors que le livret, écrit par Magnard lui-même, est parfois désuet et bien-pensant, typique du XIXème siècle. On sent que Magnard, avec les thèmes de l’utopie et de la religion réinventée, a eu besoin de se démarquer des influences des grands compositeurs, de les imiter tout en s’y refusant. Et à Strasbourg, je retrouverai avec beaucoup de plaisir quelques chanteurs avec qui j’ai déjà partagé la scène.
Guercoeur, du 28 avril au 28 mai à l’Opéra National du Rhin, plus d’informations
Eugène Onéguine, du 26 juin au 2 juillet, à l’Opéra National du Capitole de Toulouse, plus d’informations