On vient d’apprendre que la création de Journée de noces chez les Cromagnons qui devait avoir lieu au Théâtre Monnot à Beyrouth vient d’être annulée à cause de la pression et des menaces exercées sur le théâtre et la troupe.  Qu’est-ce que cette triste affaire raconte du Beyrouth d’aujourd’hui ? 

  “Normaliser les relations avec l’occupation sioniste,” c’est l’accusation utilisée par la campagne de boycott des partisans d’Israël au Liban et, en particulier, contre Wajdi Mouawad. Leur objectif était de faire annuler la première mondiale de “Journée de Noces chez les Cromagnons”, mise en scène par le directeur de La Colline au théâtre Monnot à Beyrouth. Le but est atteint. Un des derniers théâtres résistants face aux crises du pays a dû céder sous la pression de la censure. Cette décision a été prise en raison de “pressions inadmissibles et de menaces sérieuses faites au théâtre, à certains artistes et à des techniciens.” Comme l’a déclaré Monnot dans son communiqué. En réalité, les organisateurs de la campagne n’avaient pas besoin d’envoyer des menaces. Déjà, l’accusation de “normalisation avec Israël ” est une menace très grave. Elle est utilisée comme épouvantail contre tous ceux qui proposent une nouvelle manière d’exister en dehors de la guerre contre “l’être du mal,” comme il faut appeler Israël au Proche Orient.

     Sur les réseaux sociaux, les censeurs se sont adressés à Mouawad en arabe : ” votre pièce ne sera pas diffusée au Liban, vous ne blanchirez pas l’image des crimes sionistes. Ce qu’on nous avait promis est arrivé. ” Quelques jours auparavant, le 5 avril, la compagnie a déclaré que le metteur en scène de Tous des oiseaux a réalisé ce projet en 2017 avec “le soutien et le financement de l’ambassade israélienne à Paris et du Théâtre Cameri de Tel Aviv. Sa troupe de comédiens est principalement composée d’Israéliens, de personnes détenant la citoyenneté israélienne ou de personnes ayant terminé leurs études dans l’entité sioniste.” En contactant le théâtre La Colline, il confirme à Transfuge que : “Le soutien des services culturels de l’ambassade d’Israël en France correspond à l’achat de trois billets d’avion pour des comédiens israéliens de Tous des oiseaux. Ce soutien ne peut pas être qualifié de financement.” Et même si c’était vrai, est-ce que c’est une raison pour annuler un spectacle qui fait revivre Beyrouth culturellement ?

     La liste d’accusations ne s’est pas arrêtée sur le seul Israël, elle l’a dépassé vers le judaïsme, “Mouawad a également engagé l’historienne juive Natalie Zimon Davis pour écrire le scenario de Tous des oiseaux.” C’est le Beyrouth d’aujourd’hui, il n’a rien à voir avec celui d’avant : la ville de la liberté d’expression, le refuge des intellectuels du Proche Orient. Elle est devenue une prison de l’esprit, un territoire où règnent la peur et l’antisémitisme.

     La parodie c’est qu’au nom de “la libération de Palestine contre Israël,” ces militants interdisent une pièce de théâtre. Ils ont oublié le vrai ennemi : le Hezbollah, qui a transformé le Liban en un pays totalitaire, ont oublié les responsables de la corruption, de l’insécurité, et ne se souviennent que d’un spectacle où le réalisateur aurait évoqué Israël. De cette manière, il reproduit le même scénario que le régime fasciste d’Assad où, prononcer le mot Israël est considéré comme un crime qui peut mener la personne en prison pour le reste de sa vie.

     Il serait mieux pour ces militants de lire le texte de Tous des oiseaux. Ils vont peut-être comprendre que la cohabitation avec Israël est la seule solution pour sortir de l’horreur dans laquelle le Proche Orient vit. Cette cohabitation grâce à laquelle plus de deux millions d’Arabes habitent en Israël en paix, y compris des Libanais chrétiens fuyant les massacres commis par les terroristes du Hezbollah et d’autres milices dans les années 80.

     Dans sa déclaration, la compagnie confirme que “les appelants au boycott au Liban ont réussi à empêcher la représentation de la pièce, ce qui est un succès pour tous les partisans de la Palestine et du boycott.” En effet, si cette tragédie constitue une victoire, c’est celle de la défaite. Le théâtre, qui est fait pour réunir les gens autour des arts, est le dernier lieu où subsiste la tolérance sur laquelle on peut compter pour sortir de la radicalisation où s’éteint le Liban.