Dans La Question, Stanislas Nordey donne à entendre avec beaucoup de cran le témoignage d’Henri Alleg.

La voix est une corde tendue. Les mots vibrent comme des flèches. La langue d’Henri Alleg particulièrement efficace est avant tout factuelle. En interprétant La Question dans ce spectacle sobrement mis en scène par Laurent Meininger, Stanislas Nordey donne tout son poids à ce texte d’autant plus dérangeant que dans un style sec, dépouillé de procès-verbal, il dresse un constat sans appel. Directeur de 1950 à 1955 du quotidien Alger Républicain, Henri Alleg passe dans la clandestinité quand le journal est interdit de parution. Il est arrêté le 12 juin 1957. Séquestré et torturé à El-Biar dans la banlieue d’Alger pendant un mois entier, sa révélation au grand jour des supplices infligés par les militaires français aux détenus sympathisants ou combattants pour l’indépendance de l’Algérie résonnera comme une déflagration dont l’impact se fait encore sentir aujourd’hui. 

À sa parution en 1958, La Question fait aussitôt l’objet d’une censure énergique par l’Etat français. Non seulement les exemplaires du livre mais aussi les journaux qui parlent du texte ou en publient des extraits sont saisis. Sur scène, Stanislas Nordey fait entendre les mots d’Henri Alleg dans un espace dont les vastes proportions suggèrent une impitoyable machine à broyer les corps et les âmes. Un espace qui serait comme une mâchoire figurant une autorité impersonnelle. Le sol luisant reflète les mouvements oscillants d’un rideau qui se teinte par moments de tons rougeâtres et dans lequel sans trop forcer son imagination, on pourrait voir les cordes serrées d’un martinet ou de quelque autre instrument de supplice. Toujours tendu, alerte, fléchissant parfois sur ses jambes, l’acteur n’exprime aucun pathos. Tout est dans le texte d’Henri Alleg. Les brûlures qu’on lui inflige dans différentes parties du corps. Les coups répétés dans le bas-ventre. Les séances d’électrocution. L’asphyxie par noyade. Les menaces de mort. Les pressions morales. À quoi s’ajoutent les cris de ceux qu’on maltraite dans des cellules voisines.Le catalogue des sévices et leur description précise, froide, impitoyable dans ses détails est accablant. Alors qu’il est fourbu, épuisé après plusieurs jours de ce traitement, un homme lui pose la main sur l’épaule comme pour le mettre en confiance : « Cela me fait de la peine de vous voir dans cet état. Vous avez trente-six ans : c’est jeune pour mourir ». Il lui enjoint de dénoncer ceux qui défendent dans la clandestinité l’indépendance de l’Algérie. Tel son ami Maurice Audin, membre du parti communiste algérien. Arrêté vingt-quatre heures avant Henri Alleg, Audin n’en sortira pas vivant. Il faudra attendre 2018 pour qu’Emmanuel Macron reconnaisse officiellement les responsabilités de l’Etat français dans son assassinat, victime des mêmes bourreaux. Stanislas Nordey a lu pour la première fois La Question à l’âge de quatorze ans. Il n’a jamais oublié ce le livre qui l’a profondément marqué. D’où son souci de transmettre aujourd’hui ce texte d’un homme qui, non seulement a survécu à la torture d’état, mais a laissé un témoignage dont les mots n’ont rien perdu aujourd’hui encore de leur impact.

La Question, d’après Henri Alleg, mise en scène Laurent Maininger, avec Stanislas Nordey, Théâtre national de Bretagne, du 3 au 6 avril.