L’opéra de Lyon présente La Fille du Far West, un opéra western trop rare, que le chef Daniele Rustioni mène avec une formidable énergie.  

Giacomo Puccini n’est jamais là où on l’attend. Fort du succès de Bohème, Tosca et Butterfly, il aurait pu se coucher sur ses lauriers et tricoter les mêmes partitions, avec ce mélange de métier et de génie qui fait sa patte. Heureusement il n’en est rien. Et il fallait même un sacré culot pour se lancer dans ce qui reste, au vrai, le seul « western » de l’histoire de l’opéra : La Fanciulla del west. Inspirée du roman The Girl of the Golden West de David Belasco, son intrigue prend place au cœur de la ruée vers l’or, et utilise toutes les ficelles narratives (et efficaces) de ce qui deviendra l’un des genres phare du savoir-faire hollywoodien. On trouve ici une tenancière de saloon, un shérif, des rivalités amoureuses, des bandits de tous poils, du whisky, et puis les grands espaces de l’ouest américain. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, créé en 1910, l’opéra est contemporain des tout premiers westerns du cinéma muet, et en cela ancêtre de ce genre en général. Enfin, ce n’est pas un hasard si l’œuvre a vu le jour au Metropolitan opera de New-York (dirigée par Toscanini et avec Caruso) devant un public pour qui cette histoire narrait les aventures de leurs propres grands-parents. Mais qui dit western, dit gros moyens, ce qui explique que l’œuvre soit si absente des scènes lyriques. Outre le chœur, cette Fanciulla ne demande pas moins de 18 solistes, dont un trio de tête qui ne saurait souffrir la médiocrité. Raison pour laquelle il faut saluer la courageuse initiative de l’Opéra de Lyon, théâtre où cette pièce n’avait jamais été montée. 

On est en revanche bien obligé de montrer une légère déception devant les options esthétiques choisies par la metteuse en scène berlinoise Tatjana Gurbaca. La fanciulla étant si rare, on serait heureux de la découvrir dans une production qui fasse la part belle aux chromos du western : on veut ici colts, cactus et coyotes. Las, nous voilà en une espèce de no man’s land postapocalyptique, dont les personnages semblent attifés comme dans Mad Max 3. Les décors rappellent les reliefs géants d’un yaourt bio ; quant aux costumes, sans doute ont-ils été chinés chez Emmaüs. Cette  tristesse est d’autant plus à regretter qu’il y a ici une vraie direction d’acteur. 

Globalement homogène, la distribution n’en est que plus valeureuse. Dans la première partie de l’opéra (qui est d’ailleurs le seul tunnel de la partition) chacun campe son personnage. Mais c’est à l’arrivée de Dick Johnson, le héros masculin, que l’intrigue se tend et que la musique s’enflamme. Dans son rôle de desperado, le ténor italien Riccardo Massi fait preuve d’une vraie vaillance, cependant plus à l’aise lors des parties élégiaques, tant son rôle est vocalement lourd. À l’inverse, sa compatriote Chiara Isotton, qui interprète Minnie, ladite « fille du far West », est impressionnante lors des passages les plus dramatiques. Elle semble d’ailleurs parfois moins chanter Puccini que Wagner, mais ainsi en veut cette œuvre, qui fait écho à toutes les nouveautés musicales du premier XXe siècle (Puccini ayant toujours été une extraordinaire « éponge » sans jamais tourner le dos à son inspiration naturelle). Enfin, le redoutable shérif Jack Rance est fort bien incarné par Claudio Sgura, avec un savant mélange de veulerie et de sincérité.

Avouons que le grand vainqueur de cette soirée reste malgré tout Daniele Rustioni. Passionné par ce répertoire, le chef tire de son orchestre de l’opéra de Lyon les rugissements que cette œuvre demande. Avec lui, on est vraiment au far West : la partition de Puccini regorge d’audaces et de singularités que Rustioni distille avec une passion communicative ; il ferait (presque) oublier les impasses de la scénographie, tant il nous plonge au cœur d’un bouillant maelstrom sonore. 

La Fille du Far West, Giacomo Puccini, direction musicale Daniele Rustioni, mise en scène Tatjana Gürbaca, Opéra de Lyon, jusqu’au 2 avril