Pour sa huitième édition, le festival tourangeau dédié à la jeune création questionne les faits de société tous azimuts. 

Quel est le point commun entre le journaliste Hervé Guibert, mort du sida en 1991, la réalisatrice expérimentale américaine Maya Deren, décédée à 44 ans, la comédienne iranienne Mina Kavani bannie de son pays et Cécile, une performeuse fantasque qui raconte sa vie par le menu ? A priori, rien. Pourtant ce petit monde est à l’honneur du festival WET°, cru 2024. Créé en 2016 par Jacques Vincey, alors directeur du Théâtre Olympia – CDN de Tours et dont c’est la dernière programmation, la manifestation s’est installée peu à peu dans le paysage culturel comme le lieu de l’émergence. Sa particularité : chaque édition est élaborée avec le concours des membres du Jeune Théâtre en Région Centre (JTRC), soit cinq comédiens, tous sortis de grandes écoles d’Art dramatique, deux techniciens et deux producteurs. Pour ces artistes en herbe, ces futures chevilles ouvrières du spectacle vivant, c’est une manière de mettre le pied à l’étrier et d’éprouver leur capacité à programmer, à trouver, dans plus de 250 dossiers, les pépites théâtrales de demain. La sélection est drastique. Seules huit propositions sont retenues. 

Se déployant dans cinq lieux partenaires de la métropole tourangelle en plus du Théâtre Olympia, les spectacles retenus cette année donnent le pouls des préoccupations intimes, sociales et sociétales qui anime une nouvelle génération d’artistes. L’amour, l’identité, le rapport à l’autre, au monde, le désir de vivre sont au cœur de ces créations.

Après avoir conquis les festivaliers cet été à Avignon dans le cadre de la Sélection Suisse, Cécile, performance mise en scène par Marion Dorval, ne vous laissera pas indifférent. Cette femme est unique. Elle n’a pas une vie, mais mille. Zadiste, conductrice de bus, artiste clown en milieu hospitalier ou prophétesse spirituelle au Mexique et en Mongolie, elle a en vu de toutes les couleurs et offre à chacun un peu d’elle-même, comme un cadeau bienfaiteur. S’inscrivant dans ce fil des récits autobiographiques de femmes engagées, I’m deranged de Mina Kavani invite à remonter le temps, à visiter son pays, l’Iran. De Téhéran, sa ville natale, elle garde un souvenir à vif, comme une blessure qui ne peut se refermer. Condamnée à l’exil pour avoir laissé parler ses convictions dans le film engagé de Sepideh Farsi, Red Rose, elle met à nu cette douleur qui jamais ne la quitte, celle du déracinement. Faisant écho au vent de révolte qui secoue son pays depuis septembre 2022, elle refuse le silence et cherche, dans un cri salvateur, à trouver l’infime espoir de revoir un jour sa terre. De son côté, Céline Chariot, autrice, photographe et performeuse belge, explore, dans Marche salope, l’amnésie traumatique des femmes victimes de viol. À mille lieues de ces œuvres engagées, au cœur de l’école supérieure d’art et du design, Mélissa Barbaud s’empare du texte de Valérie Mréjen et, avec décontraction et humour, telle une archéologue des sentiments, dissèque les vestiges d’une histoire d’amour des plus banales voire des plus insipides qui soient. 

Autre salle, autre registre, avec un humour décapant, parfois noir, Gabriel Sparti esquisse le portrait au vitriol de son pays natal, la Suisse, et convie à découvrir avec beaucoup d’esprit l’envers du décor pastoral d’une contrée dont la neutralité est constitutionnelle. Enfin, à travers les écrits théoriques de la réalisatrice Maya Deren et les récits de vie de l’écrivain Hervé Guibert, respectivement, le duo Daphné Biiga Nwanak – Baudouin Woehl et Arnaud Vrech s’emparent de deux figures artistiques du vingtième siècle avec une réjouissante liberté.

Le Festival WET°, du 22 au 24 mars 2024 au Théâtre Olympia