Un meurtre inattendu dans un village-forteresse pour vieux nantis de Floride. Une enquête très noire doublée d’une dystopie très convaincante. 

Dans une récente contribution médiatique au cas Depardieu, une comédienne a signifié, d’une façon franche et directe qui l’honorait, sa détestation épidermique des boomers, néologisme anglo-saxon en vogue pour parler des « vieux », dont certains souhaitent la disparition accélérée de la surface terrestre. En d’autres temps, cela aurait été d’autres bouc-émissaires. Comme une réponse, certes involontaire à cette pittoresque tendance « Kill the olds », l’écrivain et journaliste Clovis Goux imagine l’inverse : une société tout entière dévolue au troisième âge avec présences interdites des moins de 50 ans sous peine de très fâcheux problèmes. Dans ce très horrifique roman de proche anticipation évoquant le Super Cannes de J.G. Ballard, les Village Unis de Floride, un agrégat de condominiums d’apparence paisible, constitue le noyau dur d’un état ayant fait sécession avec les Etats-Unis livrés à une jeunesse ivre de ses jeunes globules. Un « paradis » bâti sur les cendres d’une guerre civile intergénérationnelle et raciale. « Une des conséquences de la silver revolution et de la proclamation des VUF fut ce que les médias appelèrent « La bataille de Miami Beach », qui vit ses deux principales communautés, juive et homosexuelle, s’opposer avant de s’affronter pour le contrôle de la ville insulaire. (…) Au terme d’âpres négociations, on parvint à l’arraché à un partage du territoire : aux seniors juifs le nord de la ville, aux homosexuels le sud ». Quant aux juifs gays, à eux de se débrouiller…

   Ces camps de la vie, comme il y eut des camps de la mort, respirent une robuste jovialité de bon aloi où tout semble aller le mieux dans le meilleur des mondes. Un monde qui s’apparente à celui du Prisonnier, une série des années 60 dans laquelle l’infortuné Numéro 6 tentait d’échapper à un univers concentrationnaire claustrophobique dédié au bonheur. Les Villages-Unis de Floride chantent sur tous les tons l’acmé du dix-huit trous avant le trou final. Avec en ligne de mire constante, deux ennemis à abattre : la jeunesse et la mort, devant être anéanties sans ménagement. 

    Pourtant un jour, ce paradis terrestre pour baveux arthritiques aux dentiers ivoires va se dérégler : un résident, français, est retrouvé le crâne fracassé au bas de son escalier, vraisemblablement assassiné. Parti l’enterrer et régler les formalités d’usage, le fils unique de l’infortuné Floridien d’adoption, va se muer en enquêteur mi Candide-mi Nestor Burma en t-shirt Dinosaur Jr, accumulant les fausses pistes et les surprises (entre autres embarrassements, il couche avec une bombe qui se révèle être l’ancienne maîtresse de son père…), jusqu’à ce que la vérité se fasse jour… effrayante, que l’on n’aura pas l’indélicatesse de révéler aux, espérons-le, nombreux lecteurs de ce roman très noir et très addictif. Clovis Goux brosse avec un mélange de sérieux et d’humour, avec le talent de conteur qu’on lui connaît depuis La disparition de Karen Carpenter, la peinture d’un monde prêt à tout pour étancher ses soifs de jeunesses. Dans tous les sens du terme. Et si, finalement, les Nold (Never old) méritaient le châtiment suprême souhaité par les radicaux de la génération Z ?  La question, à la lecture de ces 280 pages d’intenses frissons, mérite d’être posée… 

Clovis Goux, Extrême Paradis, Stock, 280 p., 20,90€