Les éditions Séguier font paraître les mémoires de Robert McAlmon, autour des folles années de Montparnasse. Pour notre plus grand plaisir. 

Sur la bande de l’excellent livre que Maud Simonnot lui a consacré, La nuit pour adresse, on pouvait lire « McAlmon le magnifique ». C’était là pour le public français l’occasion de mieux connaître une figure oubliée et pourtant centrale de la génération perdue. De Robert McAlmon, voici aujourd’hui en librairie grâce aux éditions Séguier l’épatant volume de ses mémoires. Un texte bouillonnant, féroce, enlevé. On y apprendra comment cet américain fils de pasteur s’est d’abord retrouvé au début des années 1920 plongé dans « la pesanteur enfumée » de Londres et son « moralisme déprimant ». Bob vient d’épouser « Bryher », Annie Winifred Ellerman, une très riche héritière qui a eu une éducation corsetée. Le jeune Robert étouffe un peu-beaucoup auprès de sa belle-famille, de Madame et Sir John, dans le cadre de la pension d’Audley Street. Il écrit déjà de la poésie, des critiques littéraires, a créé la revue Contact avec William Carlos Williams, et affiche un goût bien tranché. L’assoiffé ne perd pas un instant. Il trace son chemin en cherchant à croiser les gens de lettres de l’époque. Si Wyndham Lewis lui semble au premier abord coincé, il se montre encore moins tendre envers T.S. Eliot dont la « poésie moisie » lui apparaît « comme étant la parfaite expression de la peur que peut éprouver face à la vie un homme ayant une mentalité d’employé atrabilaire ». Profitant de son séjour à Paris, il sonne à la porte de James Joyce dont il apprécie Gens de Dublin. Lequel Joyce travaille sans relâche sur Ulysse tout en souffrant d’une maladie des yeux, peut boire jusqu’à plus soif au Gypsy Bar sur le « Boul’Mich’ » et réciter du Dante « dans un italien retentissant ». Joyce dont Mcalmon tapera plus tard à la machine les cinquante pages du monologue intérieur de Molly Bloom… À Paris, rive gauche et rive droite, pas le temps de s’ennuyer, tant la vie est trépidante. Les expatriés y sont légions et brillants : Mina Loy, Ezra Pound, Djuna Barnes, Sinclair Lewis… Autour de McAlmon, virevolte sans cesse une horde de représentants des mondes de l’écriture, de la peinture et de la beuverie. Heureusement que de généreux mécènes sont là pour régler les additions du Boeuf sur le Toit, du Dôme ou de la Rotonde ! Voyager, cet homme n’a rien contre, bien au contraire. Attirante au départ, Berlin finit par l’agacer et le déprimer. Rome, il y arrive au moment où les fascistes marchent dans les rues. Mais rien ne vaut Paris même si, écrit-il, « Paris est une garce et on ne doit pas s’enticher d’une garce » ! Continuellement aux premières loges, Robert McAlmon se définit à un moment comme un sceptique. Force est de constater qu’il est avant tout un formidable portraitiste aussi doué pour disserter sur les gens d’esprit que pour capter le mouvement d’une époque qui roulait à tombeau ouvert.

Robert McAlmon, Bande de génies. Mémoires du Montparnasse des Années folles, traduit de l’anglais (Etats-Unis), Séguier, 480 p., 22, 90€