C’était hier la création mondiale de Jacob’s Ladder de Steve Reich à l’auditorium de Radio France. Un moment époustouflant qui inaugurait le festival Présences dédié au compositeur américain. La veille, une première inauguration du festival à l’Ircam nous donnait à entendre un autre Reich, génie du contrepoint.
Quatre voix s’élèvent pour psalmodier la phrase biblique : « Et il eut un songe, et voici qu’une échelle était dressée sur le sol, son extrémité touchant aux cieux, et voici que des anges de Dieu montaient et descendaient sur elle. » Chant en hébreu qui fonde Jacob’s Ladder. Une création qui, si elle se fonde sur les mots de la Bible, s’avère particulièrement instrumentale. Mélopée envoûtante, saisissante. Musique dont l’élévation se fait dans la lignée de Reich, du minimalisme qu’il a forgé depuis plus de cinquante ans, et dont il est devenu le maître incontesté. Un minimalisme puissamment mystique. Car il n’était pas question pour la musique de « s’élever » au sens le plus simple du terme. Dans un entretien à Transfuge ce mois-ci, Steve Reich explique comme il a longtemps cherché à reproduire le mouvement de l’échelle, notamment par des gammes sans jamais en être satisfait, jusqu’à ce qu’il comprenne que « n’importe quel mouvement mélodique vers le haut, vers le bas, ou tenu, est une échelle ». Cette évidence et cette liberté ont hier emporté l’ensemble intercontemporain, et le chef George Jackson, grand connaisseur de la musique de Reich. Le délicat balancement entre les voix, retenues, et la vigueur des moments instrumentaux qui venaient comme étirer et approfondir chaque mot, a témoigné d’un Steve Reich en pleine possession de son œuvre, alors même qu’il vient de fêter ses 87 ans. Dans l’auditorium de Radio France, plein à craquer, une grande émotion a salué Jacob’s Ladder. Et à la fin du concert, lorsqu’il nous fut présenté le disque gravé en direct lors de la création, tout le monde applaudit, ravi d’avoir pu être là, à cet instant-là.
Steve Reich, dernière période
Au cours du même concert, la programmation de Présences a proposé le fameux Reich/ Richter, œuvre mythique que le compositeur avait composé à la demande du peintre Gerhard Richter, en 2018, donc déjà dans cette dernière période. George Jackson et l’Ensemble intercontemporain ont offert une puissante interprétation de cette œuvre particulièrement sophistiquée, pensée à partir des tableaux de Richter, et de fines bandes qui s’élargissent peu à peu. Musique de motifs, proche en cela de l’art plastique, telle que le compositeur l’a souvent recherchée dans son travail, Reich/ Richter témoigne de la profondeur et de la faculté d’étrangeté de son œuvre. Alors, dans ce concert d’inauguration de si haute volée, une question se posait ; qui pouvaient être les compositeurs d’aujourd’hui qui accompagneraient les œuvres de Reich ? C’est Joséphine Stephenson, franco-britannique d’une trentaine d’années, qui hérita du privilège, et de la gageure, d’ouvrir la soirée. Et ce avec une œuvre pour grand ensemble, In time like air, du nom d’un poème de l’américaine May Sarton. Poétesse méconnue en France qui inspire à Joséphine Stephenson une musique cristalline, qui lui a permis de développer sa propre idée de la musique répétitive. La belle découverte de cette soirée d’ouverture.
Reich par Greenwood
Il n’y a pas de première, sans avant-première : la veille, le lundi 5 février, nous pouvions déjà entendre du très grand Steve Reich à l’Ircam, dans l’Espace de projection, salle devenue incontournable pour les mélomanes contemporains depuis qu’elle a été refaite l’année dernière. S’ouvrant sur Pendulum Music et Clapping Music, la soirée affirmait la dimension expérimentale, et joueuse de la musique de Reich. Qu’est-ce que Clapping Music sinon le procédé du « phasing » cher au Reich des années 70-80, au plus simple ? Un retour sur l’aventure reichienne de bon augure pour ouvrir Présences, qui a pu réjouir le public, nombreux et jeune ce soir-là. Une jeunesse que la création de l’américaine Gabriella Smith, héritière du minimalisme et tournée vers l’océan, nous racontait aussi. Nul doute que Reich s’est instauré en modèle pour plusieurs générations. Mais ce fut à la fin de la soirée, qu’un moment d’une puissante intensité musicale eut lieu : Johnny Greenwood, ancien guitariste de Radiohead, est arrivé sur scène pour jouer Electric Counterpoint. Œuvre en miroir, qui permet au musicien de dialoguer avec lui-même, c’est-à-dire avec un enregistrement, procédé que Reich pratiquait dans les années 80, lorsqu’il écrit cette musique destinée à Pat Metheny. Fondée sur le souffle, la force et l’hypnose de ses échos, Electric Counterpoint est quarante ans après sa création, toujours cultissime.
Présences, festival de création musicale de radio France, jusqu’au 11 février. Plus d’infos