Avec Amour fou, Denis Michelis signe un roman à la lisière du polar, entre étrangeté, nostalgie de l’amour et folie.

Le décor est idyllique : une petite ville côtière, aux falaises spectaculaires. Sauf que les cadavres ont tendance à s’y accumuler fâcheusement… Quand une jeune femme est retrouvée noyée, de lourdes présomptions se portent sur le jeune Barnabé, qui avait développé vis-à-vis d’elle une furieuse obsession. Jusqu’à la harceler. Faute de preuve, il reste libre. Mais quand un second cadavre de femme est retrouvé au même endroit, Barnabé est à nouveau interrogé par la police.

Pourtant, il n’est pas le seul dans cette campagne paisible à adopter un comportement étrange. Tout le monde semble, ici, vaguement suspect, prisonnier d’inquiétants méandres mentaux. Les personnages se succèdent et disent leur vérité. L’ancienne camarade de fac de la victime, redevenue sa confidence sur le tard. Le policier qui cultive un goût curieux pour les romans mettant en scène les vengeances les plus trash possibles. Le père du principal suspect, un psychanalyste un peu trop porté sur les jeunes femmes. Et son épouse, qui clame ne pas voir ce qui cloche chez son cher petit – même quand il assure qu’elle l’empoisonne…

De l’érotomanie au déni en passant par les délires paranoïaques, chacun cultive sa folie particulière. Un chœur fascinant et explosif, dont Denis Michelis entrelace les voix avec une délectation assassine… L’écrivain démiurge s’amuse de ses créatures, car après tout : « C’est quand même le luxe d’avoir une Voix dans la tête qui sait exactement ce que vous le voulez quand vous le voulez. » Le plaisir, ici, se démultiplie à travers les récits multiples de narrateurs dont aucun n’est fiable. L’écrivain joue d’une atmosphère de roman noir pour mieux jeter le soupçon sur toute parole. Il cultive les fausses pistes et les retournements de situation, dans un jeu permanent. Tous mentent et se mentent. Les mises en abyme se superposent comme autant de trompe-l’œil. C’est la fiction elle-même que Denis Michelis met en scène et malmène – à commencer par ces histoires qu’on bâtit sur soi-même pour survivre. Le tout au service d’un humour très noir. Une nouvelle fois, l’auteur du Bon fils dépeint la famille en enfer feutré où la folie explose. Être aimé, sous sa plume, est rarement une bonne nouvelle. Comme l’explique Barnabé, qui n’a aucune envie de renoncer à son déséquilibre : « Je voulais retomber amoureux, mais pas amoureux du dimanche, non, redevenir amoureux FOU, ne plus dormir, ne plus penser qu’à elle, chaque heure, chaque minute, chaque seconde, l’amour n’est rien sans obsession, sans le ressassement qui arrête le temps. Plus de futur qui angoisse ni de passé qui vous fout le seum. C’est maintenant, encore et toujours, maintenant, jamais ça ne s’arrête, vous courez dans votre jolie roue qui scintille de mille feux, même endormi vous courez, les yeux fermés vous courez, épuisé, à bout de forces, sauf que vous en redemandez ». Brillant, cruel et délicieusement drôle.

Amour fou, Denis Michelis, Notabilia, 406 p., 23€