Sous des apparences d’enquête policière, c’est à une plongée émouvante dans les profondeurs de
l’inconscient que nous convie la comédienne et dramaturge grecque, Danai Epithymiadi, dans Tout le
temps du monde.

La scène se remplit d’eau comme si l’on se trouvait sous la mer ou immergé au sein d’un liquide amniotique. Cette présence aquatique est signifiée par des images vidéo projetées sur les murs d’une chambre d’hôpital. Face au lit où repose une jeune femme, un téléviseur diffuse un étrange message publicitaire : « Tu t’interroges sur le passé, le présent ou l’avenir ? Cesse de te torturer. Appelle-moi. Je suis là. Je réponds à toutes les questions. 24 heures sur 24. 7 jours sur 7. 365 jours par an ». Avant même que le spectacle ait commencé, l’image de cette patiente allongée sous les draps dans l’univers aseptisé d’un centre de soins avec à ses côtés les fils suspendus d’une perfusion nous a mis dans l’ambiance en créant une attente. Tel un détective, on examine les indices sans savoir où cela va mener. Un infirmier entre, vérifie deux ou trois choses, puis sort. 

Ainsi s’esquisse en touches minimales Tout le temps du monde, pièce écrite et mise en scène par Danai Epithymiadi qui interprète elle-même la protagoniste. Elle s’appelle Christina. Apparemment elle émerge d’un coma profond à la suite d’un accident de voiture. C’est du moins ce qu’affirme un policier venu l’interroger. Christina ne se souvient de rien. L’homme lui montre une lettre non décachetée trouvée dans la boîte à gants, envoyée, selon le tampon de la Poste, le 29 août. Il y a, explique-t-il, du sang sur le capot de la voiture. Christina a-t-elle tué quelqu’un lors de l’accident ? S’agit-il d’un homicide volontaire ? Les éléments d’une intrigue policière oedipienne se mettent en place. L’homme a entre les mains le journal  intime de Christina d’où il extrapole les motifs possibles du crime. La victime pourrait être son père ou sa mère. Des examens ADN sont en cours. 

Arrivé à ce point, le spectateur qui pense découvrir un polar théâtral risque d’être déçu. Car s’il y a une enquête, celle-ci se situe à un niveau autrement profond. D’ailleurs, il est question de plongée ; sport que Christina et sa mère pratiquaient ensemble. Précisons qu’il s’agit de plongée en apnée, dont la championne, Natalia Molchanova, est capable de retenir son souffle durant neuf minutes. On comprend mieux alors cette eau qui enveloppe la scène. Même si, pour le reste, on nage en plein fantastique. Car c’est à une immersion au sein de l’inconscient de son héroïne que nous assistons dans ce spectacle à la fois sensible et finement construit, joué avec une subtile dose d’humour par Danai Epithymiadi. On y suit les étapes d’une errance dans les méandres de la psyché où souvenirs plus ou moins lointains et présents opaque se mêlent sous le signe du deuil avec à la clef un sentiment de culpabilité tenace qu’il s’agit de dénouer. 

Comme dans un conte initiatique Christina se voit offrir un breuvage magique par un medium malicieux quoique plein de bonne volonté. Ce bon génie est un peu le double du chien en peluche hérité de son enfance dont elle ne se sépare jamais. C’est avec eux qu’elle traverse des états douloureux tout en s’efforçant de ramener ses souvenirs à la surface. En particulier ceux de sa mère avec qui elle plongeait reliée par une corde de sécurité. Sa mère, victime d’un cancer, dont elle évoque le visage dissimulé sous un masque à oxygène parce qu’elle avait besoin d’une assistance respiratoire. Elle l’imagine alors glisser au plus profond des abysses le corps recouvert d’écailles. S’inspirant de son histoire personnelle, Danai Epithymiadi, que l’on découvre pour la première fois sur une scène française, signe un spectacle d’une grande force émotionnelle et poétique. Une réussite.


Tout le temps du monde, de et par Danai Epithymiadi, jusqu’au 11 février au théâtre de la Colline, Paris (75020).Plus d’informations