Pionnier du minimalisme, Steve Reich est à l’honneur de l’édition 2024 du festival Présences. En grande forme à 87 ans, le compositeur new-yorkais revient sur les moments marquants de son parcours, et sur sa nouvelle création, Jacob’s Ladder, à partir du récit biblique de l’échelle de Jacob, qui sera présenté à Radio France.

Jacob’s Ladder, une de vos œuvres les plus récentes, est donnée pour la première fois en France à l’occasion du festival Présences. Quelle est l’origine de cette composition inspirée de la Genèse ?

Cette œuvre a été jouée pour la première fois en octobre dernier aux Etats-Unis au New York Philharmonic. Avant de travailler dessus, j’avais travaillé à une autre composition, Traveler’s Prayer, écrite elle aussi pour des voix et un ensemble à cordes, dont le point de départ était la prière que l’on dit en hébreu avant de monter dans un avion ou plus généralement à titre de protection. C’est une œuvre qui tranche avec tout ce que j’avais composé auparavant, parce qu’il n’y a pas de pulsation rythmique. Cela vient de la nature de ce texte qui habituellement est soit chanté soit dit sans aucun accompagnement rythmique. C’était quelque chose de nouveau pour moi. Quand j’ai entrepris de travailler sur Jacob’s Ladder, je me suis demandé si j’allais utiliser la pulsation rythmique. Et la réponse a été oui. Je suis revenu à la pulsation, mais de façon plus atténuée. Elle est assumée par les cordes et le vibraphone avec des maillets adoucis. Cela veut dire qu’on n’a pas la même sensation qu’avec une œuvre comme Music for 18 Musicians, par exemple, ou d’autres compositions plus récentes qui toutes ont une pulsation rythmique.

Comment fait-on pour transposer dans une composition musicale ces versets de la Genèse où Jacob voit en rêve des anges qui montent et qui descendent une échelle ?

Le texte dit : « Et il eut un songe, et voici qu’une échelle était dressée sur le sol, son extrémité touchant aux cieux, et voici que des anges de Dieu montaient et descendaient sur elle ». Et c’est tout. Comme on sait le mot « ange » peut se traduire aussi par « messager ». On peut commenter ce texte en disant qu’en un sens vous et moi ou tout être humain est une échelle ; nos pieds sur le sol et notre tête, si nous le voulons, tendue vers le ciel. Vu de cette façon ce n’est pas un rêve si étrange, mais un commentaire sur la nature même de la vie humaine. Quand j’ai commencé à composer, je me suis demandé quel était l’équivalent musical d’une échelle. La réponse la plus évidente était que c’était une gamme ou un mode. J’ai alors perdu beaucoup de temps à travailler sur des gammes ; ce qui était ennuyeux et n’aboutissait à rien. Un jour, en montant et descendant sur une échelle pour chercher un livre rangé tout en haut de la bibliothèque- dans notre salon le plafond est très élevé-, j’ai eu un déclic. En montant, en descendant, en remontant ou en m’arrêtant un instant sur un échelon, j’ai compris que n’importe quel mouvement mélodique vers le haut, vers le bas, ou tenu, est comparable à une échelle. Je pouvais écrire simplement ce que je voulais. Avec en tête cette idée que les notes étaient des « messagers ».

Comment s’équilibrent les parties chantées et instrumentales dans cette œuvre ?

Contrairement à d’autres compositions pour voix comme Desert MusicTehillimProverb ou Traveler’s PrayerJacob’s Ladder est d’abord une pièce instrumentale dans la mesure où les parties chantées concernent 40% de l’œuvre. Le reste est une sorte de commentaire sans mots. Un commentaire musical sur ce mouvement des messagers qui montent et descendent ou font une pause sur une échelle entre le ciel et la terre. L’œuvre est répartie en quatre sections courtes correspondant aux quatre lignes du texte et quatre sections plus longues qui développent ces sections initiales. On commence avec les voix qui laissent la place à une musique purement instrumentale pour finalement revenir dans la dernière section.

Festival Présences du 6 au 11 février à Paris. Plus d’infos