Qui a besoin du ciel, puissante pièce de l’américaine Naomi Wallace, fait vivre la classe ouvrière américaine dans les années 80. Une pièce mise en scène avec force par Tommy Milliot au Centquatre-Paris.

La femme est attachée à une chaise, seule sur la scène. Elle demeurera ainsi pendant la moitié de la pièce. Plaintive et mauvaise dans son calvaire. Elle injurie ceux qui l’entourent : son amie Annette, son neveu, l’étrange adolescent qui la visite à la nuit…Wilda, magnifiquement incarnée par Catherine Vinatier, est un personnage saisissant, croisement inattendu du Hamm de Fin de Partie et d’Erin Brockovich. C’est elle qui tiendra toute la pièce, figure centrale de ce drame ouvrier puissamment contemporain, écrit au couteau par l’autrice américaine Naomi Wallace. Et l’on sait, au moins depuis La Brèche mise en scène il y a deux ans à Avignon, déjà par Tommy Milliot, à quel point Wallace sait plonger dans les blessures de l’Amérique, dans ses désillusions et sa violence. Qui a besoin du ciel nous raconte l’histoire de Wilda et de ses proches, créatures d’aujourd’hui, d’hier, ou de demain. De ceux que l’on a longtemps appelés aux Etats-Unis the white trash. Nous sommes quelque part dans le Kentucky, dans les années 80, alors que les bourses s’effondrent, et que les salariés de l’industrie en font les frais. Wilda est une ancienne ouvrière d’usine métallurgique dans une petite ville américaine qui, suite à plusieurs deuils et accidents, est devenue accro aux opioïdes. Blanche, divorcée, cinquantenaire, chômeuse. Un cancer à son actif. Son amie Annette est noire, cinquantenaire, lesbienne, bientôt chômeuse. Le neveu de Wilda est jeune, d’origine sud-américaine, handicapé, chômeur. Sa sœur est morte, d’overdose. Pour éviter une mort semblable, elle s’est attachée à cette chaise, pour s’appliquer un sevrage sauvage. Car c’est aussi cela l’histoire de cette pièce : la manière dont les neuf personnages vont tenter, chacun à sa manière, de se sauver. Annette, portée avec grâce par Marie-Sohna Condé, vit pour et par les grottes. Car, apprend-on, s’étend sous la petite ville un réseau de pistes souterraines que des touristes viennent visiter, guidés par Annette. Cet outremonde hante Annette, qui ne cesse d’en parler, notamment au cours de scènes poignantes qui la voit tenter de persuader sa fille de revenir vivre avec elle. La pièce nous raconte aussi la tentative de coup d’éclat de ce petit groupe de sans-grade, pieds nickelés de la rébellion sociale, face à une entreprise d’aluminium qui a choisi de déserter leur ville, laissant l’usine, et ses ouvriers, en plan. Si Naomi Wallace dépeint la manière dont le capitalisme sauvage peut abîmer les corps, et les psychés des individus, elle offre aussi à ses neuf personnages une profondeur inattendue. Ainsi la scène inouïe qui voit Wilda affronter le PDG de Kentucky Aluminium, joué avec un vrai sens du burlesque par Matthias Hejnar, offre une dimension à cette femme, un héroïsme oserait-on dire, que Wallace et Milliot laissent vivre sur scène avec force. Et à la fin de la pièce, ce seront les neuf personnages qui dans une scène au bord de l’onirisme, nous offriront une leçon de fraternité, d’espoir et de poésie, bouleversante. Ce sera le point d’orgue de la mise en scène de Tommy Milliot qui par le choix d’une scénographie épurée, et d’une mise en scène a minima, nous mène peu à peu vers cette fin superbe, qui nous extirpe de l’atmosphère oppressante de la pièce. Milliot, qui connaît bien le théâtre de Wallace,  réussit aussi à diriger ses acteurs dans un jeu d’une grande subtilité, entre ironie, poésie et grotesque. Ce qui permet à cette pièce de demeurer constamment sur le fil, entre drame social et fable sur la fraternité des êtres. 

Qui a besoin du ciel, de Naomi Wallace, mise en scène Tommy Milliot, Centquatre-Paris, jusqu’au 10 février. Plus d’infos