A la Philharmonie, le cinéaste Bertrand Bonello réinvente l’œuvre du compositeur révolutionnaire. C’est Transfiguré, 12 vies de Schönberg. Un spectacle salutaire. 

Certains noms font peur. Ils intiment un respect un brin craintif et parfois même rebutent. Ainsi Arnold Schönberg (1874-1951)… Sa personnalité est tellement associée à la révolution radicale de l’écoute musicale, que les mélomanes préfèrent le garder accroché au mur d’un musée imaginaire, comme une étape nécessaire, un ancêtre capital. Bref : il est à la fois le plus connu et l’un des moins écoutés, car son nom n’attire pas les foules, lesquelles craignent d’être déroutées ; alors que ses œuvres révolutionnaires ont souvent plus d’un siècle. Voilà pourquoi le spectacle hybride et excitant proposé par la Philharmonie de Paris a toute sa raison d’être. Il est même salutaire. 

Transfiguré, 12 vies d’Arnold Schönberg est une manière de « best-of » (pardon du mot, mais il est parlant), ou bien un chemin de croix en douze stations, qui court tout le long de la vie du compositeur. À travers douze extraits -comme les douze sons de la série dodécaphonique dont il fut le concepteur- d’œuvres emblématiques, on (re)découvre l’extraordinaire évolution d’une inspiration, passée d’un postromantisme suffocant, rutilant et sublime, à l’abstraction la plus cérébrale. On découvre surtout que, malgré l’aridité supposée de ses pièces les moins accessibles, Arnold Schönberg n’a jamais renié ses racines viennoises et romantiques. C’est tout le mérite de ce spectacle qui, s’il saucissonne allégrement (mais intelligemment) les pièces du maître, recrée pour le public une forme de généalogie sonore très éclairante. 

Pour établir un fil rouge narratif, Olivier Mantéi, chambellan des lieux, a demandé au cinéaste Bertrand Bonello d’imaginer un véritable dispositif scénique. Avec talent et humilité, le réalisateur de L’Apolonide s’est essayé à un exercice forcément périlleux. Le résultat est touchant, parfois soufflant de beauté, d’autre fois irritant de didactisme, mais incontestablement sincère. On passe d’une illustration très angélique des premières œuvres (Verklärte nacht et Pelléas et Mélisande) qui rappellent les projections vidéo de Bill Viola, à une évocation appuyée de la montée du nazisme, car Schönberg fut évidemment classé parmi les chantres de l’entartete Kunst, cet art dit dégénéré. S’ils sont glaçants, les passages sur le IIIe Reich sont sans doute les plus artificiels et l’on regrette qu’ils n’aient pas plutôt choisi de mettre un extrait du redoutable Survivant de Varsovie. Mais un spectacle aussi hybride s’apparente forcément à un de ces films à sketchs qui florissaient dans les années soixante : certains étaient réussis, d’autres moins convaincants. On aurait surtout tort de faire la fine bouche devant les quelques maladresses d’un projet défendu avec tant d’énergie. Bien sûr, pour les parties orchestrales on rêverait d’une baguette moins sage que celle d’Ariane Matiakh, laquelle n’enflamme pas toujours l’Orchestre de Paris ; mais le pianiste David Kadouch et la soprano Sarah Aristidou s’investissent avec passion dans ce projet hors norme. Les pièces pour piano, les deux mouvements du concerto op.42 ou les extraits d’Erwartung sont superbes. Ces 12 vies permettent surtout de découvrir des œuvres moins célèbres que le Pierrot Lunaire (lequel était évidemment présent) comme le bouleversant chœur Friede auf Erden dans sa version avec orchestre : une pièce admirable, datée de 1907, qui rappelle que Schönberg était un compatriote de Schubert. 

Enfin, et c’est sans doute le plus important, au terme d’une telle soirée, on rentre chez soi et l’on se dit : « mais que c’est beau, cette musique ! Tiens, si j’écoutais du Schönberg… ». Tonton Arnold sort grand vainqueur de cette soirée. Plus qu’un bon spectacle : une bonne action.          

Transfiguré, 12 Vies de Schönberg, par Bertrand Bonello, à la Philharmonie le 10 et 11 janvier. Et sur Arte, courant 2024. Infos et resa