American Mother, est un livre qui nous ébranle : Colum McCann livre le témoignage de Diane Foley, mère de James Foley, journaliste américain assassiné en 2014 par Daesh en Syrie. Portrait grandiose d’une mère perpétuant la mémoire de son fils, et récit d’un idéalisme sacrifié à la barbarie. 

C’est une histoire qui touche au nerf d’effroi de notre temps :  un journaliste parti en Syrie pour témoigner de la condition des civils, victimes de Bachar al-Assad et de ses alliés russes, se retrouve captif de barbares, et finit, après deux ans de tortures quotidiennes, par être tué. Qu’on le veuille ou non, l’image s’est inscrite en nous : James Foley a été décapité par des hommes encagoulés, au milieu du désert, après avoir été contraint de lire un message abject, dénonçant la politique américaine. Ces hommes ne se sont pas contentés d’assassiner le journaliste américain, ils ont filmé son meurtre, et ont diffusé la vidéo dans le monde entier, via les réseaux sociaux. Voilà ce que fut la mort de James Foley : l’un des sommets de la barbarie de Daesh. Tuer un journaliste américain de trente-neuf ans parce qu’il était américain.  Le terrorisme islamiste a adopté le principe génocidaire puisqu’ils tuent leur victime par essence, instaurant ainsi un palier d’horreur au XXIe siècle qui nécessite d’être pensé et combattu, et « gravé dans l’histoire » comme le dit Diane Foley, mère de James, dans notre entretien. Que ce sadisme puisse être justifié par des discours politiques et idéologiques s’avère l’un des scandales les plus insoutenables de notre époque. 

Mais revenons à James Foley. Otage de Daesh en Syrie, il fut détenu par les tristement célèbres « Beatles », surnom de ces Anglais convertis à l’islamisme, et devenus soldats de Daesh. American Mother s’ouvre sur une scène inouïe qui voit Diane Foley face à l’un des assassins de son fils, Alexanda Kotey, condamné à perpétuité en 2022. La mère de James a réussi à se rendre jusque lui. Il faut imaginer la détermination morale de cette femme qui accepte de parler à cet homme, en dehors du procès. Elle ne vient pas pour l’insulter : « Elle écoute : telle est maintenant sa mission. Elle doit écouter. » Kotey ne présente pas ses excuses, mais tente d’expliquer, lui-même ébahi par cette femme qui est venue à sa rencontre. Ce face-à-face, auquel a assisté Colum McCann, s’avère le fondement d’American Mother : l’écrivain nous dresse le portrait d’une mère qui se bat contre la haine et la violence. D’abord celle qui a tué son fils, puis sa propre rage qui a pu l’animer envers les meurtriers de James, mais aussi envers l’administration américaine qui l’a si peu aidée au cours des deux années de captivité de son fils. Plutôt que de haïr, elle cherche à changer les choses, et ce au sein de la James Foley Foundation qui vient en aide aux otages américains, comme ceux actuellement détenus par le Hamas. En écrivant sur elle, Colum McCann livre un portrait hors-normes, hagiographique certes, mais une époque comme la nôtre a besoin de se forger des modèles : Diane Foley, habitée par la foi et la ténacité, s’avère une madone du temps présent. Elle en a la grandeur morale, mais aussi le sourire et l’empathie.  C’est une femme élégante, chrétienne, en retenue. Colum McCann, de son côté, s’affirme comme l’écrivain de l’héroïsme contemporain. Il y a du Camus chez l’auteur d’Apeirogon, qui donne corps et voix aux « muets de l’histoire », et trouve la juste approche pour évoquer l’horreur. Colum McCann est un Sisyphe sans désespoir, qui croit par ses livres, offrir la voie de la réparation du monde. Naïf ? À la fin de l’entretien entre Alexanda Kotey et Diane, le terroriste qualifie James Foley de « simple d’esprit ». Même s’il assure qu’il s’agit d’un compliment, l’idée est claire : James serait simple parce qu’il aurait eu l’idée saugrenue de ne pas être en guerre, mais de se convertir à l’Islam, et de tenter une réconciliation. À ce moment-là, Diane Foley éprouve une colère. Elle attaque Kotey : « pensez-vous avoir été endoctriné par l’Etat islamique ? ».  Diane Foley est splendide, aussi, lorsqu’elle réarme le courage moral. À la fin du livre, Colum McCann écrit : « Parfois, on sait où est le bien. Parfois, on suit son instinct. Si on ne fait rien, rien ne se fait. » Il y a une forme de prière dans ce livre. Ce jour de décembre, Colum McCann, d’Irlande, et Diane Foley, des Etats-Unis, m’octroient leur première interview. Je les en remercie. 

L’article complet est disponible dans le N°174 en version numérique ou en kiosque et librairie

American Mother, Colum McCann avec Diane Foley, traduit de l’anglais ( Irlande) par Clément Baude, éditions Belfond, 196p.,21,90 €, plus d’informations