Avec L’Etoile du matin, l’écrivain norvégien se renouvelle en publiant un roman de plus de huit cent pages, à l’univers métaphysique et angoissant. Une prouesse.  

Après la somme monumentale que fut Mon Combat, beaucoup ont cru que Karl Ove Knausgaard avait tout dit. Accomplissant la totale mise à nue que fut cette œuvre, que pouvait ajouter l’écrivain norvégien d’une cinquantaine d’années, célébré, particulièrement aux Etats-Unis, comme l’un des écrivains majeurs de notre temps ? Les livres qui suivirent, cheminements poétiques découpés en saisons, tout en délicatesse, accréditaient l’idée qu’il était arrivé à l’automne de son œuvre. Or paraît aujourd’hui L’Etoile du matin. Plus de huit cents pages et une dizaine de personnages. Un livre qui entremêle roman psychologique, science-fiction, univers gothique, réflexion théologique et métaphysique. Une somme hybride, comme l’était Mon Combat, si ce n’est qu’il s’agit d’un roman. Ce à quoi on aurait pu croire Knausgaard profondément réticent. Lui qui jusque-là décrivit minutieusement son quotidien de jeune père, de mari, d’écrivain, ne semblait jamais tenté par ce qui sous-tend le romanesque ; l’aventure imaginaire. Or, L’Etoile du matin est un vrai roman d’imagination. Puisqu’il s’agit de saisir, au gré du destin d’une poignée de personnages pendant quelques jours d’un été en Norvège, la manière dont ils appréhendent l’apparition d’une étoile monstrueuse dans le ciel, signe, peut-être, d’une apocalypse imminente. Ce registre biblique, annoncé par la présence d’une femme-pasteure parmi les personnages, ne cessera de s’accentuer, jusqu’à la fin qui voit se développer une réflexion sur la nature du péché originel, et le rapport des hommes à la mort, avant, et après l’avènement du christianisme. Ainsi l’on pourrait dire que L’Etoile du matin est un roman métaphysique : chaque personnage y propose son propre rapport à la mort. La pasteure, l’un des personnages les plus complexes, se voit bouleversée et hantée par un homme qu’elle enterre. Un intellectuel en vacances en famille, dont on retrouve les traits du narrateur de Mon Combat, découvre la violence morbide de celle avec qui il vit, par l’image d’un chat mutilé. Un journaliste alcoolique d’une petite ville se voit soudain confronté à un atroce fait divers qui l’interpelle sur son propre choix de destruction. Une infirmière en hôpital psychiatrique entre une nuit dans une forêt à la suite d’un patient, et découvre ce qu’elle ne peut pas nommer. Le cauchemar est présent à chaque page de ce livre ou presque, et ce sous le soleil fixe, ou l’étoile éclatante, d’un été trop chaud pour ne pas être effrayant. On connaissait Knausgaard proustien, on le découvre parent de Stephen King : nous sommes suspendus au fil de psychés vacillantes, dont on ne cesse de se demander s’ils vont basculer dans la folie, ou la violence. Car Knausgaard, s’il quitte l’autofiction, ne perd pas son talent inouï pour l’introspection, suivant les atermoiements de pensées intérieures qui jamais ne laissent les personnages en paix. La culpabilité se révèle le trait dominant de chacun. Les meurtres et fantômes qui peuplent leurs existences, font écho à ce sentiment qui les ronge : comme ce médecin, rencontré dans un train, qui raconte être arrivé dans une ferme isolée, pour soigner un vieil homme en urgence cardiaque, et avoir aperçu le spectre d’un garçon assis face à lui, le montrant du doigt et lui affirmant qu’il était condamné. L’Etoile du matin s’avère en cela un Whodunit : chaque personnage semble coupable d’une faute première que l’on ne saurait nommer. Car sous le soleil fixe de la mer, ou dans la forêt grouillante de serpents, et peu à peu, on s’interroge : est-on parmi les vivants, ou a-t-on déjà basculé de l’autre côté ?  

L’Etoile du matin, Karl Ove Knausgaard, traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon, éditions Denoël, 837p., 27€, plus d’informations