Dans ce Messie de Haendel à la Seine Musicale, l’Insula Orchestra et le Chœur Accentus, Laurence Equilbey à la baguette, visent les cieux.

Dans Les très riches heures de l’humanité, publié en 1927, Stefan Zweig relate douze moments selon lui fondateurs de la civilisation occidentale, et consacre un passage à Haendel, aux circonstances de la composition du Messie. Alors ruiné, malade, dépourvu d’inspiration, le compositeur aurait reçu un jour un paquet, sans préavis, de son ami Charles Jennsens qui lui avait fourni le livret de Saül. Il contenait des passages tirés du Nouveau comme de l’Ancien Testament, agencé pour un oratorio. Comfort ye, The glory of the Lord, Rejoice, Lift up your heads… Et ces mots auraient fait renaître en Haendel non pas seulement la foi en Dieu, mais en la composition. Le Messie, ode au Christ ressuscité, aurait ressuscité Haendel lui-même. God gave the word. Le verbe, et la note également.

Créée à Dublin en avril 1742, à l’occasion des fêtes de Pâques, cette œuvre de la rédemption est devenue depuis longtemps un des « tubes » de l’Avent, en raison de sa première partie consacrée à l’Annonciation et à la Nativité. Joué chaque printemps à Londres du vivant de Haendel, le Messie fut incessamment remanié par son compositeur. Quelle version serait donc la plus définitive ? C’est en tout cas celle dite de Covent Garden, datant de 1752, aujourd’hui la plus souvent donnée, qu’a choisie Laurence Equilbey pour cette série de concerts. Mais la cheffe, toujours préoccupée de sens a cependant allégé de quelques numéros les deuxième et troisième parties, dans un souci de fluidité, de cohérence, et certainement pour un esprit plus natal que pascal

En leur demeure de l’île Seguin, à la Seine musicale, l’Insula Orchestra et le chœur Accentus s’expriment en pleine puissance mais toujours avec cette grâce pondérée et sans aucun maniérisme, avec cette souplesse et cette énergie resserrée que sait imprimer à ses musiciens Laurence Equilbey. Celle qui de son propre aveu aurait pu devenir plasticienne si elle n’avait d’abord été musicienne, a opté pour une scénographie minimale ayant néanmoins un impact réel sur la musique : un jeu de lumières projeté sur les cannages de bois qui enveloppent la scène et les musiciens, allant d’un rouge presque obscur à un jaune mordoré. On ne tarde pas à sentir que le rougeoiement intimiste est souvent réservé aux récitatifs accompagnés avec beaucoup de délicatesse par la basse continue du théorbe, d’un orgue flûté et du clavecin, et que les jaunes d’or dynamisent les fulgurances fuguées du chœur et de l’orchestre. Symbolique passage, donc, des ténèbres à la clarté : Then shall the eyes of the blinds open.  

Alors qu’on attendait impatiemment Sandrine Piau, chez Haendel comme dans son élément, souffrante ces 5 et 6 décembre, elle ne sera de retour qu’à Toulouse et Barcelone, ce mois-ci. Mais la déception est compensée par la découverte de Marie Lys, la Zerlina du Don Giovanni d’Emmanuelle Haïm à l’Opéra de Lille, cet automne. Sa voix est chatoyante, d’une chaleur de mezzo par moments, maîtrisée malgré certaines phrases qui gagneraient à se prolonger d’un souffle. Elle domine une distribution de jeunes chanteurs, parmi lesquels l’Américain Alex Rosen, à la très profonde voix de basse, dont les vibratos manquent peut-être encore de nuance, le ténor anglais Stuart Jackson à la diction impeccable, quoique parfois exacerbée, et le contre-ténor français ayant travaillé, comme Marie Lys, auprès du chef Christophe Rousset.

Si l’Hallelujah a provoqué spontanément, comme il se doit, l’enthousiasme de la salle, l’Amen final, pour lequel les solistes ont rejoint le chœur dans une sorte de communion auditive et visuelle, répondait parfaitement à ce que Stefan Zweig y voyait-il y a presque cent ans : « Mais cet Amen, mais ces deux brèves syllabes, Haendel s’en emparait à présent pour en faire un édifice sonore montant jusqu’au ciel ». Un instant de grâce. Céleste.

A la Seine musicale le 6 décembre à 19h30 plus d’informations

A la Halle aux grains de Toulouse le 20 décembre, plus d’informations

Au Palau de la Musica de Barcelone le 21 décembre , plus d’informations