Avec Diari d’Amore, diptyque composé de deux comédies à l’ironie mordante de l’écrivaine italienne, le cinéaste fait des premiers pas bienvenus quoique inégaux sur les planches du TNP de Villeurbanne.

Le bébé pleure. À moins que ne soit un chat dans la cour. C’est le matin. Les persiennes sont fermées. Marta et Francesco traînent au lit. Quelle heure peut-il bien être ? Concetta, leur femme de ménage est censée prendre son service à huit heures. Comme ils lui doivent un mois de salaire, elle arrive toujours en retard. « Elle se venge », dit Marta. Francesco pourrait se lever pour aller chercher sa montre dans la salle de bain. Mais la baignoire est pleine de linge sale… Alors il reste sous les draps. 

Ainsi commence Dialogo (Dialogue), une des deux comédies en un acte – avec Fragola e panna  (Fraise et chantilly) – de Natalia Ginzburg, mises en scène par Nanni Moretti. Sous l’intitulé Diari d’Amore, ce diptyque présenté au TNP à Villeurbanne est la première incursion du cinéaste sur les planches. Connue surtout pour ses romans, Natalia Ginzburg révèle d’incontestables talents de dramaturge avec ces deux pièces dont l’écriture serrée pleine de détails truculents brosse un portrait aussi drôle qu’impitoyable de la classe moyenne italienne des années 1960 et 1970. 

C’est dans un grand lit au centre de la scène qu’on découvre les acteurs Valerio Binasco dans le rôle de Francesco et Alessia Giuliani dans celui de Marta. L’humeur n’est pas aux câlins, mais pas non plus à la dispute. Ils parlent à battons rompus. Une certaine aigreur émane de leurs échanges ; mélange de rancœur, de jalousie et d’inconséquence. Il est question de leurs amis, Michele et Elena, ainsi que d’Angelica, la sœur d’Elena qui vit sous le même toit et dont on comprend qu’elle a une relation amoureuse avec son beau-frère. Il est aussi question du chien que Michele promène à deux heures du matin, parfois en compagnie de Francesco, qui raille la laideur et les « pattes tordues » de l’animal. Michele a publié plusieurs romans. Grâce à lui, Marta a trouvé du travail. Francesco écrit, mais n’a encore rien publié. Il vient de perdre son travail. L’appartement de Michele et Elena possède une terrasse tandis que celui de Franscesco et Marta n’a qu’un balcon minuscule. 

Au fil de leur conversation Marta annonce avoir une liaison avec Michele. Ils ont l’intention de vivre ensemble. La façon dont elle distille peu à peu sa révélation fait tout le suc de ce dialogue. Jusqu’à la réaction cruelle de Francesco : « Tu as les jambes tordues. Comme le chien. On voit qu’il a un faible pour les jambes tordues ». Le chien joue d’ailleurs un rôle important dans cette affaire, dont on ne dévoilera pas la fin. 

On comprend en tout cas dès ce premier volet de Diari d’Amore, que le mot « amour » y est à prendre avec une pincée d’ironie. Dommage cependant qu’un dialogue si finement tramé pâtisse d’une diction à la mitraillette – à croire que pendant leur sommeil, on aurait administré aux protagonistes une triple transfusion de ristretto. En dirigeant ainsi ses acteurs au pas de course, Nanni Moretti ne laisse aucune place aux temps morts et aux silences qui rythment toute conversation. Or il est indispensable au théâtre qu’un texte respire. 

Heureusement Fragola e panna bénéficie d’un traitement moins survolté. On y retrouve les mêmes acteurs ainsi que Daria Deflorian – on entendait seulement sa voix dans la pièce précédente dans le rôle de Concetta – qui interprète Tosca, une domestique au grand cœur au service de Cesare, un avocat et son épouse Flaminia. Engagée depuis une semaine, elle a déjà donné son congé car elle s’ennuie chez eux, comme elle l’explique à Barbara, une jeune femme débraillée débarquée valise à la main. Interprétée par Ariana Pozzoli, elle dit être une cousine de Cesare. On apprend qu’elle a un enfant et a fui le domicile conjugal en sautant par la fenêtre. Barbara a été la maîtresse de Cesare qui la régalait de glaces à la fraise et chantilly. Battue par son mari, elle cherche refuge chez l’avocat. Lequel est en voyage d’affaire. 

Pas question pour Flaminia au courant de liaison de son mari d’héberger la jeune femme sous leur toit. Elle lui donne de l’argent et conseillée par Leatizia, une amie du couple (jouée par Georgia Senesi), on l’envoie dans un établissement tenu par des religieuses. D’où évidemment elle s’évade. La question est alors de savoir si elle se suicidera en se jetant dans le Tibre ou dépensera son argent en glaces à la fraise et chantilly. L’équilibre instable entre tragédie et dérision, sérieux et inconséquence, culpabilité et insouciance fait tout le sel de cette deuxième pièce dont le charme un brin rétro doit beaucoup au très beau personnage de Tosca. On sent que c’est pour elle que cette comédie grinçante a été écrite.


Diari d’Amore, de Natalia Ginzburg, mise en scène Nanni Moretti. Jusqu’au 7 décembre au Théâtre national populaire, Villeurbanne ; les 12 et 13 décembre à Chateauvallon (83) ; du 15 au 17 décembre à La Criée, Marseille (13) ; les 25 et 26 janvier 2024 à la Maison de la culture d’Amiens ; du 6 au 16 juin 2024 à L’Athénée, Paris (75).