Aux Gémeaux à Sceaux, Laurent Brethome présente l’adaptation française d’Amsterdam de Maya Arad Yasur, pièce multiprimée qui traque les blessures enfouies de notre passé commun. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter le texte de cette autrice israélienne peu connue en France ?  

En 2018, les éditions Théâtrales m’ont demandé de mettre en lecture un certain de nombre de textes, en partenariat avec le Jeune Théâtre National. Dans le nombre de pièces présentées, une a particulièrement attiré mon attention, d’autant que Laurence Sendrowicz, la traductrice d’Hanokh Levin, avec qui j’ai beaucoup travaillé, m’avait alerté sur le fait qu’elle venait de traduire un texte formidable, une petite merveille : Amsterdam de Maya Arad Yasur. J’étais à Marseille, à ce moment-là, je me suis tout de suite attelé à le lire. Il était deux heures du matin quand j’ai terminé. J’étais sidéré. Je voulais être sûr. Je l’ai relu dans la foulée, j’ai fini en larmes. J’ai tout de suite su qu’il y avait une urgence nécessaire et absolue à faire entendre ce texte, à le porter au plateau tant il résonnait déjà à l’époque avec l’actualité et le risque de voir l’extrême droite remporter les présidentielles. Bien que repérée, la pièce n’avait pas encore été éditée en France. Je suis donc allé en Israël, rencontrer l’autrice et acheter les droits.  

  

À l’heure où les actes antisémites explosent, en quoi le texte de Maya Arad Yasur est-il fondamental ?  

Tout au long du processus créatif, qui a réellement démarré en 2022, avec mon équipe, on s’est bien rendu compte que l’on avait quelque chose de rare, de précieux, un texte contemporain d’une autrice inconnue en France qui brassait des sujets non seulement très actuels, mais aussi d’autres en lien avec le passé. En abordant de manière détournée ou frontale la montée des populismes et la résurgence de l’antisémitisme, de la xénophobie, et de la peur de l’autre de manière plus large, Maya Arad Yasur signe une œuvre coup de poing qui évoque ce que signifie être femme dans le monde actuel, être une étrangère dans un pays qui n’est pas le sien, être une Israélienne avec tout le poids du regard occidental qui pèse sur soi. C’est d’autant plus percutant et terrifiant depuis la tragédie du 7 octobre. Ce qu’évoque l’autrice, est au cœur de ce que l’on vit. Malheureusement, comme je l’ai toujours senti, les autrices et les auteurs sont toujours des visionnaires. Parce que finalement, à travers les mots de la dramaturge israélienne, on perçoit qu’elle avait comme anticiper ce qui arrive. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde est un cauchemar absolu. Il est donc plus que nécessaire de faire entendre ce texte, non parce qu’il est actuel, mais bien parce qu’il est porteur d’espoir, car il nous interroge sur le regard présupposé qu’on peut avoir dans le rapport à l’autre, ce que l’on peut projeter sur l’autre.  

  

Comment adapte-t-on un texte qui passe en permanence du passé au présent ?  

C’est un travail colossal, qui a réclamé une spécificité de répétitions qu’avec mon équipe. Durant un an et demi, nous avons travaillé d’arrache-pied pour faire entendre au mieux les mots de Maya Arad Yasur. J’ai notamment demandé que les acteurs et actrices apprennent l’intégralité du texte, car il n’y a pas de personnages véritablement distribués dans la pièce. Tout s’est joué lors d’improvisation, j’avais besoin de voir comment la parole circulait dans le groupe, comment chacun s’emparait de ce récit qui a tout d’une énigme policière. L’important pour moi était de mettre le spectateur au cœur de la pièce, qu’il s’interroge sur l’endroit où on veut l’emmener. Même l’autrice s’est prise au jeu, car je donne à la fin une piste de compréhension à laquelle elle n’avait pas pensé… 

  

Amsterdam de Maya Arad Yasur. Mise en scène de Laurent Brethome, au Théâtre des Gémeaux, Scène nationale-Sceaux, Du 1er au 10 décembre