A Garnier, un bijou destiné au jeune public : Ma Mère l’Oye et L’Enfant et les sortilèges, deux faces du génie puéril de Maurice Ravel, interprétés par la jeune garde de l’Opéra de Paris.

Quitte-t-on jamais l’enfance ? Maurice Ravel semble n’en être jamais sorti. Du moins avait-il su conserver un sens de l’émerveillement, une forme de lucidité, et cette profonde tendresse qui remontent aux premiers âges de la vie. Il y a aussi la cruauté de l’enfance, cette peur abyssale des choses qu’on ne comprend pas ou qu’on se réjouit de ne pas comprendre, pour les regarder avec un effroi gourmand. Enfin, Ravel avait su trouver un lien invisible entre les éblouissements enfantins et la maturité formelle, lequel court tout au long de son œuvre. 

Deux pièces magnifient ce lien : Ma mère l’oye et L’Enfant et les sortilèges. La première est un recueil de pièces pour piano à quatre mains, composé en 1910, orchestré en 1911 et transformé en ballet en 1912 ; la seconde, une manière d’opéra minute de trois quart d’heure. Ma mère l’oye s’inspire des contes de Perrault, L’enfant est un exquis livret de Colette. Les réunir dans un même spectacle et les confier aux jeunes pousses de l’opéra de Paris était une fort jolie idée et le pari est réussi. Le ballet est interprété par les élèves de l’école de Danse, l’opéra chanté par les membres de l’Académie de l’Opéra national de Paris. Mais cette soirée n’a rien d’un spectacle de fin d’étude ou d’une simple démonstration des forces vives de la première scène nationale. Au contraire, ce diptyque baigne dans une complicité bienveillante, une harmonie douce, qui caractérise un esprit de troupe.

Sur l’argument ténu de Ma mère l’oye, le chorégraphe Martin Chaix a plaqué une charmante petite promenade au pays du chaperon rouge, de poucet et de Barbe bleue. L’ensemble est harmonieux, d’un blanc délibérément monochrome, peut-être visuellement un peu fade, mais la fameuse apothéose qui clôt le ballet porte bien son nom : le jardin féérique. Une fois de plus, difficile de ne pas être frappé par la tendresse vibrante de cette musique, que les tout jeunes danseurs magnifient sous une pluie de coton. 

Et lorsque le rideau se lève sur L’Enfant, on comprend que le ballet ait préféré cette sobriété « blanc cassé », car on ne saurait lutter avec le tourbillon qui va suivre… 

Décidément, les productions des années Hugues Gall ne prennent pas une ride et constituent un fond indispensable où l’on pourra puiser encore longtemps. On s’en rend compte avec les spectacles de Robert Carsen ; on le constate avec ce petit bijou créé en 1998. Il y a vingt-cinq ans, le duo Richard Jones et Anthony Mc Donald montaient cette petite merveille dont les quarante-cinq minutes d’enchantement devraient intimer silence à bien des fausses gloires. Ils ont su épouser les ombres et les lumières de cette intrigue faussement simple, qui voit un enfant harcelé par ces objets du quotidien dont il avait jusque-là fait ses victimes. Et dans un rythme haletant on passe de la cheminée à la forêt, de la tasse à l’horloge comtoise, toujours sur la ligne de crête entre le rire et l’inquiétude. Rien n’est plus effrayant que de voir le monde réel avec un regard d’enfant : Ravel et Colette l’avaient compris, et ce spectacle l’illustre avec une justesse souvent remarquable. 

Les jeunes forces de l’Académie et de la Troupe de l’opéra de Paris s’en sortent avec les honneurs, et l’on mentionnera l’enfant de Marine Chagnon, le superbe feu d’Emilie Gazeilles et le fort bel arbre d’Adrien Mathonat. Enfin, dans la fosse, Patrick Lange dirige Ravel avec délicatesse, sans jamais chercher à tirer la couverture (avec des partitions aussi rutilantes c’était tentant), s’efforçant toujours de mettre en valeur les charmes et les magies d’une soirée où danse et chant s’unissent dans une bien jolie complicité.

Bref, s’il est un spectacle qui peut donner aux enfants le goût de la (« grande ») musique, c’est vraiment celui-ci !       

Ma Mère l’Oye/ L’Enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel, direction musicale Patrick Lange, chorégraphie Martin Chaix, et pour L’Enfant, mise en scène Richard Jones. Opéra de Paris, Palais Garnier, jusqu’au 14 décembre.