Au CentQuatre, quatre ans après le sensationnel Stallone, Fabien Gorgeart met en scène Catherine Hiegel dans une adaptation théâtrale et musicale Des Gratitudes de Delphine de Vigan.
Sourire aux lèvres, bienveillance en bandoulière, Pascal Sangla et Laure Battler accueillent les premiers spectateurs au son d’Imagine de John Lennon. Sans le savoir, le spectacle a déjà commencé. Le Centquatre est loin derrière, quand se dessine la salle commune d’un Ephad. On est en plein atelier de musicothérapie. Des classiques de la chanson française s’enchainent. À chacun de trouver les paroles manquantes. Le Sud de Nino Ferrer, Mistral Gagnant de Renaud, etc. Puis le jeu se corse, façon blind test. Il faut retrouver le titre à partir d’une seule note. Quasi impossible, sauf bien sûr pour Michka (immense Catherine Hiegel), cette ancienne parolière atteinte d’aphasie, qui se demande bien ce qu’elle fait là.
Perdant peu à peu les mots, invertissant les consonnes ou les remplaçant par d’autres au gré de sa mémoire qui flanche, elle ne peut plus vivre seule tant son rapport aux autres s’est altéré. Marie (Laure Battler), sa voisine, qu’elle a quasiment élevée, s’en est occupée un temps. Mais la charge devient trop lourde, d’autant qu’elle attend un enfant. La placer est la seule solution. Dans un décor stérile, gris, impersonnel, Mishka doit réinventer la vie qui lui reste. Dans cette morosité ambiante, où tous les autres pensionnaires lui semblent bien plus vieux et plus atteints qu’elle, un orthophoniste lui donne du baume au cœur. Ensemble, ils tentent par de petits exercices de mémoire de ralentir la progression inexorable de la maladie.
Comment ne pas succomber au charme de cette délicieuse vieille dame, un brin brut de décoffrage ? Impossible. Le soignant succombe et finit par leur confier un peu de son intimité, sa mère morte trop tôt, son père à qui il ne parle plus depuis des années. À sa manière rentre-dedans, elle va tout essayer pour qu’il rattrape ce temps perdu, pour qu’il mette des mots sur ses blessures avant qu’il ne soit trop tard. Elle en sait quelque chose, à l’heure où s’exprimer devient difficile, elle aurait tant aimé remercier le couple qui l’a sauvée et cachée pendant 3 ans durant la guerre pour lui éviter la déportation. Couple que malgré ses efforts, elle n’a jamais retrouvé. La comparaison avec Stallone, porté par l’excellente Clotilde Hesme, est inévitable. Procédant de la même manière, Fabien Gorgeart et son complice Pascal Sangla habillent le texte en musique, donnant à la tragédie de cette femme condamnée à ne plus pouvoir communiquer avec les autres, une dimension quasi onirique. La mise en scène soignée n’arrive pas à totalement transcender la plume de Delphine de Vigan, se perdant un peu dans le hors-champ, les à-côtés. Immense, Catherine Hiegel concentre toute l’attention. Toute en retenue, elle se glisse dans la peau de Mishka, dans la solitude de son cerveau de plus en plus embrumé. Visage figé, mots en suspens, elle est tout simplement magistrale.
Les Gratitudes de Delphine de Vigan, mise en scène de Fabien Gorgeart, Centquatre, jusqu’au 25 novembre, plus d’informations