Rencontre au cœur de Paris, avec ce philosophe politique qui souhaite revenir exclusivement à son premier amour : le roman.

Ce roman est un monstre froid. Il avance sûrement, avec lenteur, les yeux grands ouverts, sur ses deux pattes, dans un parfait équilibre, moderato cantabile. Il persévère dans son être, comme les romans de Flaubert le firent en leur temps : une machine cérébrale fonctionnant à plein régime, sans couac ; un rouleau compresseur qui prend le temps des scènes, qui les étirent à leur maximum, des détails, des fonctionnements, des déroulés d’histoires, des pensées déployées avec précision. 
Quel roman que cet Humus, signé Gaspard Koenig, dont on ne lui connaissait pas ce talent. Quel roman que cette histoire d’Arthur et Kevin, jeunes et brillants étudiants d’Agrothech qui pensent pouvoir redresser un monde en cours d’effondrement.

Ils connaîtront l’un et l’autre comme on dit des destins. Arthur, le bourgeois, décide de s’installer dans une ferme familiale pour y régénérer les champs, très abîmés par les pesticides, et finira militant radical écologique ; Kevin, fils d’agriculteur, lui, lance une start-up vertueuse de vermicompostage, mais qui s’avérera frauduleuse. Lui aussi évoluera d’une manière inattendue.

À rebours de tant de romans français contemporains, qui se croient obligés de nous donner leurs avis, leurs opinions sur la société, souvent piètres resucées de leurs lectures sociologiques de Libération ou de commentaires de BFMTV, jamais Koenig, fidèle à l’injonction kundérienne de suspendre son jugement moral, ne nous donnera le sien. Une opacité volontaire qui ne permet à aucun moment du récit de savoir ce que le narrateur pense, de quel côté il se situe. À nous de percer ce mystère si on le souhaite, lire entre les lignes, supputer quelques inclinaisons, émettre d’intuitives hypothèses.

Humus est un grand roman sur la jeunesse française d’aujourd’hui. Une jeunesse qui fascine et intéresse Koenig, pour sa verdeur, sa radicalité, sa folie, sa morbidité, ses illusions, ses désillusions, leur rêve sans demi-mesure d’un monde meilleur : ne sont-ils pas l’avenir de notre planète ?

Roman d’apprentissage, mais aussi roman écologique. C’est la grande question de notre époque, il n’y en a pas d’autres, assure l’écrivain. Et nous suivrons dans cette histoire d’autres personnages tout aussi passionnants et qui nous sont pourtant avant cette lecture tout à fait étrangers : les lombrics.

Bienvenue dans le monde merveilleux des vers de terre.