Je n’ai pas le cœur à écrire sur l’art. Les livres, les films, les pièces de théâtre, les peintures, rien n’y fait : tout a perdu de sa saveur. Comment être affecté par l’art, quand des images de désolation tournent en boucle dans nos têtes ? On dit que l’art console. Rien de plus faux au moment des crimes. L’art ne peut rien devant le diable qui opère. Ces images, ce sont celles de voitures calcinées, au bord de la route, où se déroulait la rave party où 260 jeunes, pacifistes, ont trouvé la mort ; ces images, ce sont celles de cette jeune femme, tirée par les cheveux par les terroristes du Hamas, puis traînée, à moitié nue, dans les rues de Gaza, sur laquelle, dit-on, ils auraient uriné ; ces images, ce sont celles des kibboutz où des pogroms se sont déroulés. Il faut les nommer : Kfar Aza et Be’eri. Des massacres y ont eu lieu, des centaines de morts. Des bébés ont été a priori décapités, des femmes violées, des hommes brûlés vif. Le Hamas est seul coupable. Des images, enfin, de ces enfants kidnappés, qui circulent sur les réseaux sociaux. Ce petit Kfir, de trois ans, roux aux cheveux courts, au doux sourire de l’innocent ; cette petite fille, aux tresses blondes, assise sur la plage, laissant filer du sable de ses doigts, au doux sourire de l’innocent. J’énumère, concrètement, simplement, ces images qui m’ont été données de voir, fidèle à l’injonction de Primo Levi de « raconter » : « Nous devons raconter ce que nous avons vu afin que la conscience morale de tout un chacun reste éveillée, et qu’elle s’oppose, qu’elle fasse office de digue, de sorte que toute velléité future soit étouffée dans l’œuf, de sorte qu’on n’entende plus jamais parler d’extermination. » Las, aucune digue n’a pu empêcher Auschwitz ; las, aucun grillage high-tech n’a pu empêcher l’invasion terroriste. Mais la presse française a répondu à l’injonction de Primo Levi, Libération, Le Figaro, le Point, L’obs, Le Monde ont raconté, recueilli les témoignages. On s’en félicite, la presse de notre pays a été au rendez-vous de l’histoire. Seul L’Humanité nous a fait honte alors que toutes les images d’horreur d’Israël nous parvenaient. Dans le daté du 9 octobre, deux jours après les massacres, un Hamas qualifié de mouvement de résistance ; pire, une phrase d’exergue : « Israël porte l’entière responsabilité d’une telle situation ». Ou comment se noyer dans son idéologie déréalisante. Pauvre Jaurès. Télérama, de son côté, pose une question ignoble, le 9 octobre, sur son site : « Attaque du Hamas contre Israël : guerre, terrorisme ou résistance ? ».

Ils ont raconté aussi, les politiques. J’ai regardé, le 10 octobre, les Questions au gouvernement des présidents de chaque groupe parlementaire. Tous ont pris la mesure de ce qui se déroulait devant nos yeux. Concrètement, simplement : ce qu’ils ont vu, et une condamnation sans équivoque du Hamas. Seuls Panot et la LFI ont vociféré, islamo-gauchistes incapables de voir ce qu’il y avait à voir. Et surtout, incapables d’une seconde, d’une minute de commisération pour les civils israéliens tués. Cette absence dans le discours d’une seconde, d’une minute de commisération pour les victimes israéliennes a un nom : l’antisémitisme.

Il nous est naturel, pour nous, démocrates européens, de pleurer nos amis israéliens, démocrates aussi, partageant de nombreuses valeurs, un mode de vie, une conception du monde… Et pour cause, une grande partie des Israéliens est d’origine européenne. Nous sommes tous Israéliens. Mais, nous autres Européens, sommes héritiers des Lumières et de l’humanisme. Et nous devons souffrir aussi pour les bébés et les enfants tués à Gaza. Comme le dit Finkielkraut, les tautologies sont nécessaires pour ne pas s’éloigner trop de la réalité : Un bébé mort est un bébé mort, une femme violée est une femme violée, un enfant enlevé est un enfant enlevé. Pas de nationalité-là qui compte, pas de nuance, pas de contexte, pas de justification. 

Qu’on ne me fasse pas dire néanmoins ce que je ne veux pas dire, qu’il y a une symétrie entre Israël et le Hamas. Car il y a bien d’un côté, un Etat démocratique et de l’autre une organisation terroriste. Précisons aussi que je ne suis pas de ceux qui pensent naïvement qu’il y a d’un côté, de gentils Palestiniens qui subissent, de l’autre un Hamas bourreau : il y avait certainement des centaines de Gazaouis qui ont profité de l’entrée des terroristes pour aller piller, violer, kidnapper. Un socle de Gazaouis soutient le Hamas. Combien sont-ils? C’est la question.

Autre point : j’entends souvent une comparaison entre cette guerre menée par le Hamas et celle de Kippour, au motif que les deux guerres ont été des attaques surprises. Rien de plus faux nous dit Annette Wieviorka et elle a raison. Il s’agit plutôt d’établir une comparaison avec le nazisme : d’une part avec les Einsatzgruppen qui en marge de la Wehrmacht perpétraient des massacres de civils juifs, indistinctement à l’endroit de vieillards, de femmes et d’enfants ; d’autre part, n’avons-nous pas à faire à un « antisémitisme rédempteur », chez les uns comme chez les autres, c’est-à-dire une volonté d’extermination des juifs inscrit pour les premiers dans Mein Kampf, pour les seconds dans la charte du Hamas, dans l’objectif pour les premiers d’établir un Reich de 1000 ans, pour les seconds d’imposer un Califat. D’où la question qui se pose de savoir si oui ou non l’attaque du Hamas a un caractère génocidaire.

Aucun mot ne peut décrire ce qui s’est passé dans cette rave, à Kfar Aza, à Be’eri et ailleurs. L’indicible qu’évoquaient Imre Kertez, Primo Levi, Claude Lanzmann, prend son sens aujourd’hui. Tous les mots qui nous viennent à l’esprit pour dire notre effroi face à des bébés juifs décapités, nous semblent dérisoires. Tuer un bébé, c’est s’en prendre à l’humanité tout entière ; tuer un bébé, c’est rendre nul l’avenir ; tuer un bébé, c’est salir le monde.

Pour l’heure, Israël, les États-Unis et l’Égypte s’entendent pour établir un couloir humanitaire à Gaza. Ce geste montre, s’il le fallait, la supériorité morale de la démocratie israélienne- même mal en point à cause de Netanyahu- sur les barbares du Hamas.