Dans cette autobiographie romancée, le romancier chausse avec délectation les talons de la plus grande star française sous l’Occupation qui n’avait qu’un seul crédo : demeurer libre et n’appartenir à personne.

Comment passe-t-on, selon les termes de Nicolas d’Estienne d’Orves, de la « femme la plus invitée » pendant l’Occupation à la « plus évitée » à la Libération ? Non que la vie d’Arletty, née Léonie Bathiat en 1898, n’ait été qu’une suite de choix discutables mais elle fut toujours romanesque. C’est de cette façon que le romancier-gastronome d’abats, pourvoyeur d’opéra à Transfuge, l’aborde dans cette autobiographie romancée et généreuse en anecdotes, reconstitutions et portraits (Michel Simon, Guitry, Carné, Josée de Chambrun). Essayons de survoler ces presque 500 pages qui se dévorent à la vitesse qu’on aurait à écouter une chanson de Davia que ladite Arletty a rencontré dès ses tout débuts sur scène en 1919. Née d’origine paysanne, ayant grandi en banlieue, elle tombe amoureuse à 14 ans d’un inconnu baptisé Ciel. Par la suite, tous ceux qu’elle allait aimer porterait un nom de personnage de conte : le riche Edelweiss (l’oisif héritier juif Jacques-Georges Lévy) puis Faune (Hans Jürgen Soehring), ce soldat allemand aux oreille pointues proche de Goering. Comme son autobiographe, Arletty a le gout du feuilleton réaliste et se choisit ce pseudo en lisant Mont Auriol de Maupassant. Sa vie a les atours du mélo : Ciel tombe en 14, son père fonctionnaire meurt, elle déserte dans une mansarde avec sa mégère matrone antisémite, apprend la sténo et devient secrétaire d’Aristide Briand avant de rencontrer un riche héritier, voisin de Coco Chanel qui la convainc de devenir mannequin. Débutent les revues où, entre deux fêtes et deux amants, elle subjugue par son insolente indépendance et sa gouaille. Arletty n’a qu’un crédo – la liberté, n’appartenir à personne. Celle qui fut l’une des premières à obtenir son permis de conduire, pilota sa vie au nom du seul amour, suivant ses désirs (hommes et femmes). Son ami Henri Jeanson disait qu’elle était « une plus-que-femme. ». Elle ne voulut jamais se marier, avorta deux fois. Bref, droite dans ses bottes même quand celles-ci sont des Knobelbecher ! Le romancier se délecte (avec malice) à chausser ses talons pour la suivre, même aux pires moments quand, en pleine Occupation, la star de Fric Frac se carapate Quai de Conti, s’isole, ne s’intéresse à rien, sinon à sa souveraine liberté et Hans. Si elle refuse d’appartenir à la Continental, elle n’intervient pas quand elle voit son portrait à l’expo Le juifs et la France en 41. Ne dit-elle pas quand Laval déclare à la radio souhaiter la victoire de l’Allemagne, avoir rencontré l’amour grâce à fille Josée et donc à lui ! L’amour, toujours l’amour, oui jusqu’à la connerie ! Mais NEO ne juge pas, il raconte et, à chaque épisode de cette vie de roman rose, se ressent la jubilation vorace du grand faiseur d’histoires et d’inoubliables scènes de romans populaires. Il façonne des séquences d’anthologie, comme la rencontre avec l’Aga Khan ou la visite du château de Grosbois auprès de Hans dont le mystère et le danger la fascinent. Ou encore la scène typique de mélo de la mort de sa mère qui nous arrache les larmes quand elle lui glisse une formule dont elle aurait pu faire son épitaphe : « tu seras toujours indépendante ma petite Léonie. Toujours libre. Cette liberté est ton trésor et ta malédiction. ». Amen.

Arletty, un cœur libre de Nicolas d’Estienne d’Orves, Calmann-Lévy, plus d’informations