Proches ouvre la saison de la Colline en nous plongeant dans un huis clos familial d’une grande finesse, écrit et mis en scène par Laurent Mauvignier.

Sur scène, les six acteurs se tiennent les uns auprès des autres, tenant une guirlande,  « bienvenue Yoann ». Tableau émouvant d’une famille réunie pour attendre le fils et frère, après une longue absence. Nous croyons d’abord à une relecture contemporaine du retour du fils prodigue dans une zone pavillonnaire, quelque part en France. Une de ces zones que l’on reconnaît tout de suite, puisqu’elle ressemble à tant d’autres. Un de ces no man’s land où une famille simple attend celui qui ne les a pas simplement quittés, comprenons-nous peu à peu, mais les a trahis. Car ce Yoann que chacun dit aimer, se révèle le mouton noir de la famille. Le voyou, l’intransigeant, le mauvais fils, le mauvais amant. Celui qui a fini derrière les barreaux, au soulagement de sa mère, qui a toujours su, dit-elle, qu’il aurait ce destin-là. Mais il s’agit désormais de pardonner au mauvais fils, de le réintégrer dans le troupeau, au nom de l’amour familial.  Son nom même appelle au pardon, dérivant de l’hébreu, « celui qui a fait grâce ». Seulement, que se passe-t-il si Yoann ne cherche pas à être pardonné ? S’il tarde, s’il ne se montre pas impatient de recevoir la bénédiction d’une famille qui professe l’amour filial, ad nauseam ? Que se passe-t-il si la quête de pardon n’est pas celle que mène Yoann envers sa famille, mais peut-être l’inverse, peut-être que ce sont les six personnages sur scène, tournant les uns autour des autres comme des fauves dans la cage de leur pavillon, qui éprouvent un besoin vital de pardonner. De croire qu’ils sont toujours « proches » de Yoann, et des uns des autres. Qu’ils forment encore « famille ». Ce questionnement sur la nature de l’amour filial s’exprime tout au long de la pièce, que ce soit entre les deux sœurs, interprétées de manière farouche et saisissante par Lucie Digout et Charlotte Farcet, ou au sein des couples qu’elles forment chacune avec deux hommes de plus en plus désarçonnés par la violence qui surgit au sein de la famille. Mais c’est le couple de parents magnifiques et terribles que forment Norah Krief et Gilles David qui exprime au mieux le trouble de la pièce : croisant leurs dialogues dans un jeu de malentendus et d’échos qui n’est pas sans rappeler les meilleurs passages des pièces de Nathalie Sarraute, ils se reflètent, autant qu’ils demeurent étrangers l’un à l’autre. Se révélant à la fois victimes  et coupables envers leurs enfants, par incapacité d’amour, incapacité de protection, incapacité, enfin, propre à tout parent envers son enfant, ils incarnent au plus juste ce que cette pièce traduit du délabrement du sentiment d’amour, lorsqu’il est confronté au temps, et aux difficultés de l’existence. 

Un septième personnage, Clément, l’ancien amant de Yoann va venir les rejoindre, et un instant neutraliser la nécessité de bouc émissaire de ce petit groupe piétinant entre le salon et la cuisine. Clément, qui maîtrise mieux le langage qu’aucun d’entre eux, étant l’intellectuel, le « professeur », va retourner la situation, dans une scène suspendue à son souffle, et au cri impossible qu’il aimerait pousser, le « cri du muet », pour raconter la violence de Yoann qu’il a subi. Et si celui-ci tard, il hante la pièce, jouant le deus ex machina de cet oppressant huis clos familial, apparaissant ou disparaissant selon les souvenirs convoqués par chacun. Incarné avec sensualité par Maxime Le Gac-Olanié, il demeure jusqu’au bout un mystère. Mais la véritable énigme de la pièce, demeure ce langage qui promet l’amour, et qui finit par dévoiler la solitude.  Il est frappant sur scène de voir comme la langue de Laurent Mauvignier n’est pas si éloignée de celle du Nouveau Roman. Comment, sous couvert de naturalisme, et dans le genre le plus épuisé qui soit de la pièce familiale, il réussit à induire un décrochage, une pensée du langage, de l’impossible rencontre. Et qu’il fait de Proches, une pièce à très longue portée. 

Proches de Laurent Mauvignier, Théâtre de la Colline, jusqu’au 8 octobre, Plus d’informations