Une fois de plus, le réalisateur néerlandais de Borgman s’amuse à nous balader sur les rives de l’absurde.

Après Les Huit salopards de Tarantino, Huit et demi de Fellini, la Neuvième de Beethoven, voici enfin N° 10, littéralement le dixième long métrage du formidable cinéaste néerlandais Alex Van Warmerdan. Si vous ignorez encore de qui il s’agit, peut-être vous rappellerez-vous du très buñuelien Borgman dont nous avions écrit grand bien lors de sa sortie en 2013. Nous avions peu de nouvelles de lui depuis La peau de Bax (2015), polar fou et lunaire, fidèle à l’esprit surréaliste de Hauser Orkater, la troupe théâtrale que Van Warmerdam avait cofondée dans les années soixante-dix et qui triompha sur les planches jusqu’en 1982. On retrouve dans N° 10 tout ce qui fait le sel délirant de son auteur au théâtre et au cinéma, à commencer par son art de raconteur d’histoires invraisemblables. Comme à chaque fois, ses récits épousent la logique nonsensique d’un cadavre exquis. Celui-ci pousse le bouchon beaucoup plus loin, vers des territoires inimaginables que nous ne pouvons pas ne pas décrire (gare au spoil !) : un comédien de théâtre taciturne et blasé joue une pièce où il doit sans cesse ouvrir des portes qui ne mènent qu’à de nouvelles portes. Il entretient une liaison avec sa partenaire qui n’est autre que l’épouse de son metteur en scène. Dénoncé par un rival gauche et mesquin, il cloue le pied de celui-ci aux tréteaux et prend la fuite avant d’être rattrapé dans une église de campagne par d’étranges évêques extraterrestres qui lui révéleront d’où il vient et l’aideront à prendre une fuite interstellaire aux côtés de sa fille qui, elle aussi, n’a qu’un seul poumon (sic). Sur sa route, on lui aura confié d’aller répandre à la manière d’un prosélyte la parole du Christ sur sa planète natale en se servant de L’incrédulité de Saint Antoine du Caravage. Pardon aux lecteurs d’avoir révélé quelques-uns des trésors de ce film à tiroirs dont le plaisir consiste à les ouvrir afin d’en ouvrir d’autres et se laisser balader. Alex Van Warmerdam enchaîne de façon cohérente, méthodique, calme, les situations comme si tout cela était parfaitement banal ou comme si notre monde était assez taré pour qu’on accepte n’importe quoi. Ainsi, quand le héros explique à sa fille qu’ils viennent tous deux d’une lointaine planète, celle-ci hausse les épaules et le croit comme s’il s’agissait de l’adresse d’un bon restau. Quand il demande aux prêtres des preuves sur sa naissance, ceux-ci lui montrent un petit film familial en 16 mm et désignent la jolie femme à l’écran comme étant sa mère. Quoi de plus normal à l’heure des séries TV où, pour des raisons cyniques, on ressuscite tel le Christ n’importe quel personnage qu’on avait trucidé afin de procurer de vagues stimuli dramaturgiques à des spectateurs endormis à force de regarder trop de séries débiles. Quoi de plus normal que de croire en la résurrection d’un homme mort il y a plus de 2000 ans et au nom duquel tant de meurtres mais aussi de chefs-d’œuvre ont été commis. Sa charge anticléricale, Van Warmerdam la mène dans les décors urbains d’un ancien monde à l’agonie et en reconstruction. Quant aux teintes cendrées du film, elles singent celles du Caravage avec le même alliage de théâtrale, de solennité et de naturalisme. Prions Saint Van Warderman de ne pas nous faire trop attendre son n° 11.

Alex Van Warmerdam, N10, avec Anniek Pheifer, Gene Bervoets, Ed Distribution, sortie le 30 août

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