C’est toujours la même musique, la même géographie. Dominique Fabre fait parti de ces écrivains laboureurs, ceux qui creusent inlassablement la même terre. En 1995, un an après Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, Maurice Nadeau publiait un autre premier roman marquant. Tout l’univers de Dominique Fabre était déjà contenu dans Moi aussi un jour, j’irai loin. L’histoire de Pierre Lômeur, chômeur de longue durée âgé de quarante-trois ans, essayant de redresser la tête tout en nageant à contre-courant dans une fin de siècle qui le rejetait. On sentait là l’influence d’Emmanuel Bove dans l’écriture touchante, le style sec et précis du débutant. Lequel avait déjà l’art de parler de l’errance et de la solitude. Trente ans plus tard, Dominique Fabre a bâti une œuvre à part alternant romans, nouvelles et poésies. En faisant à chaque fois la part belle aux atmosphères et aux décors. Sans jamais s’éloigner vraiment de la banlieue ouest et des abords de la gare Saint-Lazare qui est toute entière au cœur de son nouveau livre. Les héros de Dominique Fabre ont toujours été des anonymes, des gens qui savent que la planète tourne parfaitement sans eux. Ses narrateurs sont des observateurs, des guetteurs, observant les êtres qui vont et viennent. Celui de Gare Saint-Lazare est habité par les fantômes et les rêves. Le quartier de Saint-Lazare l’a vu grandir. Descendre de trains ou y monter. Arriver ou partir. Comme le temps passe. Les commerces ont changés. L’époque des cabines à pièces est révolue. Les consignent n’existent plus, elles ont été supprimées après les premiers attentats. Est-ce que les objets trouvés sont encore près des bureaux de la Sernam ? Notre homme n’a rien oublié. Ni les vendeurs de roses à la sauvette du bas de la rue d’Amsterdam, le café en bas de la rue de Rome.  Ou la fille aux airs de Gitane, avec une robe à fleurs, qui vendait à la sauvette des lithographies et se prétendait libre comme l’air. Encore moins une mère employée de bureau rue de Lisbonne. Elle fumait des Kent et des Craven A, avait un amant avec qui elle partait parfois le week-end à Monfort-l’Amaury dans une vaste maison de campagne. Eternellement, le narrateur sera un « type d’Asnières-Gennevilliers ». Le revoici dérivant près de la gare Saint-Lazare. Il a arrêté de fumer, perdu « depuis longtemps la moindre illusion à propos du paradis ». Ne sait plus trop où aller. Se demande pourquoi il se retrouve ici encore une fois. Face à lui, il y a un monde dont la marche ne s’arrête pas une seconde, sauf parfois dans le hall des pas perdus avec sa grande horloge. Où il lui arrive de croiser un repris de justice encadré par deux gendarmes, une mère paniquée d’avoir égaré son petit garçon à cause de quelques secondes d’inattention… Plus que jamais, Dominique Fabre fait penser à Bove et à Modiano aux côtés desquels on conservera précieusement ses livres.

Dominique Fabre, Gare Saint-Lazare, Fayard, 143 pages, 17 euros.