Se tient dans la célèbre station suisse le Gstaad Menuhin Festival, où se retrouvent les plus grands musiciens d’aujourd’hui. Un thème est à l’honneur : l’humilité de l’homme face aux changements de la nature.

Elle se tient droite sur la scène, entre un pianiste et un batteur, longue silhouette en robe sombre, boa autour du cou, voix profonde et grave, entonne Vor der Kaserne, Vor dem grossen Tor, Stand eine Laterne, und steht sich noch davor…Wie einst Lili Marleen. Un instant, un bref instant, sous la tente de Gstaad, parmi les centaines de spectateurs retenant leur souffle face à la scène où se tient la chanteuse, on croit apercevoir la silhouette de Marlene Dietrich. Oui, c’est cette grâce à laquelle est parvenue Ute Lemper au Gstaad Menuhin Festival & Academy ce samedi 29 juillet, lors d’un concert performance intitulé simplement « Marlene », hommage au mythe Dietrich. La chanteuse allemande y raconte sa rencontre à Paris dans les années 80 avec l’icône de l’Ange bleu : elle n’avait elle-même qu’une vingtaine d’années, et accédait à la reconnaissance grâce à son rôle phare dans Cabaret, mis en scène par Jérôme Savary. Ute Lemper écrivit alors une lettre à Marlene recluse dans son appartement de l’avenue Montaigne, pour lui confier toute son admiration. Contre toute attente, celle-ci lui répondit. Commença alors un échange téléphonique qu’Ute Lemper fait vivre sur scène avec un talent d’actrice merveilleux, reprenant la voix grave de Marlene, ses difficultés d’élocution, ses moments d’ébriété, on sait à quel point Dietrich aimait le Moët et Chandon, le récit de sa vie, du succès, de l’Amérique, de son engagement dans l’armée américaine,  des innombrables amants…Sans doute est-ce lorsqu’elle évoque sa douloureuse relation avec le pays natal, l’Allemagne, qu’Ute Lemper fait vivre avec le plus de justesse les remords et les passions de Dietrich. Ainsi lorsqu’elle chante en trois langues, comme Marlene vivait parmi l’allemand, l’anglais et le français, Sag mir wo die Blumen sind, que Dietrich avait interprété en 1962 en Allemagne, moment bouleversant de retour de l’actrice dans son pays, interpellant son peuple sur les ravages de la guerre.

L’héritage de Menuhin

Ce concert est à l’image de ce que le Gstaad Menuhin Festival souhaite développer : festival fondé par l’immense violoniste Yehudi Menuhin en 1957, alors qu’il s’installe avec sa famille à Gstaad. Dans le cadre alpin grandiose du Saanenland, entre Lausanne et Berne, le musicien fait venir les grands noms internationaux de la musique tout en cherchant aussi à donner leurs chances aux talents émergents. Aujourd’hui, le festival poursuit cette tradition en invitant cette année Pretty Yende, Matthias Goerne, Marie-Joao Pires, les sœurs Labèque, Cécilia Bartoli, ou la jeune Alice Sara Ott dont on parle de plus en plus ( voir numéro de septembre de Transfuge)…Christoph Müller, directeur artistique du festival depuis plus de vingt ans, maintient haut l’exigence musicale du festival, que ce soit parmi ces grands noms, ou au sein des académies, initiant notamment une académie de jeunes chefs sélectionnés dans le monde entier, et invités au cours du festival au sein du Gstaad Conducting Academy.

Humilité

 Christoph Müller souhaite aussi, comme il me l’explique un matin de juillet autour d’un café, placer les enjeux du monde actuel au cœur du festival. Ainsi a-t-il choisi de placer le festival sous le signe de « l’humilité », mot qui selon lui touche à ce dont nous avons besoin face à l’urgence climatique qui, au cœur des Alpes, s’avère visible : « jusqu’à présent, nous n’avions pas encore mis en relation le festival avec ce genre de thèmes, et je crois qu’il est temps aujourd’hui d’être au diapason de cette situation contemporaine, voilà pourquoi nous avons placé dans notre programme des concerts inattendus, tournés vers cette question, et j’ai été frappé comme le public est venu avec intérêt, plaisir, non seulement pour la musique, mais aussi pour ce nouvel aspect. Nous avons conçu ce programme avec Patricia Kopatchinskaja. Par exemple avec ce projet « Les Adieux, Music for the Planet » ( 5 août) dans lequel la musicienne donne sa vision sombre, un peu provocatrice, de l’avenir qui s’annonce et des « adieux » que nous devons faire au monde…Ce sera la première suisse, après sa création en Allemagne. Mais ce genre de projet nous permet de discuter de ces grandes questions d’aujourd’hui. Bien sûr, ici nous sommes ici particulièrement frappés par la fonte des glaciers, comme ce fut le cas aux Diablerets l’année dernière, un évènement qui a eu des échos dans le monde entier, comme signe très concret du réchauffement climatique. Tout va beaucoup plus vite que ce que les scientifiques mêmes prévoyaient…Bien sûr, nous sommes ici dans un environnement très privilégié, et pourtant nous assistons au phénomène qui a lieu devant notre porte. Nous avons une responsabilité comme institution culturelle de ne pas être un simple divertissement, mais aussi d’inviter à l’esprit critique face à la situation du monde. » Et le public du festival ne semble pas reculer face à cette nouvelle dimension réflexive du festival, aussi présent cette année que les festivals précédents. Et même si le pasteur des lieux n’a pas aimé que « l’humilité » soit choisie comme thème du festival, jugeant qu’il s’agit avant tout d’une valeur religieuse, Christoph Müller se réjouit que ce choix du festival fasse débat dans toute la région. Lui préfère placer l’humilité sous les auspices de la musique de Bach, particulièrement à l’honneur cette année, « je crois qu’il n’y a pas de musicien qui personnifie le mieux l’humilité ».

Le soir même, dans un village à quelques kilomètres de là, nous avons pu entendre une autre variation sur cette idée de l’humilité, dans un spectacle comique et virtuose du duo Igudesman & Joo, pianiste et violoniste qui rendaient un hommage, très personnels, à Rachamaninov. Clowns et joyeux musiciens, ils offrirent un plaisir fantasque au public d’enfants et d’adultes, qui finirent debout pour les applaudir. L’humilité peut aussi s’offrir en éclats de rire.

Gstaad Menuhin Festival & Academy, Gstaad, jusqu’au 2 septembre. Plus d’infos sur www.gstaadmenuhinfestival.ch