Puissance queer et féérie minimaliste, Gay Guerrilla du compositeur Julius Eastman et des chorégraphes Gerard et Kelly est une belle réussite du festival Moviment à Beaubourg.
Et si la guerrilla n’était plus tournée vers la violence, mais vers le geste sensuel ? C’est l’idée forte qui anime le spectacle délicat, magnifiquement interprété, de Gerard et Kelly qui se joue ce weekend à la galerie 3 de Beaubourg. Fidèle à l’esprit du festival Moviment, en recherche de formes et de mouvements inclassables, ce spectacle nous interpelle sur les codes et les représentations de la danse et de la musique contemporaines, à partir de figures queer et drag-queens. Avant toute chose, parlons de la musique : les Américains Brennan Gerard et Ryan Kelly ont souhaité rendre hommage à Julius Eastman en adaptant l’un de ses morceaux-phares, Gay Guerrilla composé en 1979. Figure de la musique contemporaine minimaliste et répétitive, mal-aimée de la postérité et ayant fini sa vie dans la misère, Julius Eastman a toute sa vie recherché une musique qui défendrait aussi bien la libération queer, que les droits des Afro-Américains. Gay Guerrilla, rassemblant deux pianos, deux violoncelles et un ténor mêle ainsi un minimalisme proche de Philip Glass, à des airs lyriques, et des instants pop, qui font la signature d’Eastman. La chorégraphie projetée par Gerard et Kelly, superbement interprétée par cinq danseurs de l’Opéra de Paris en costumes queer très eighties, épouse dans un néo-classicisme très réussi chaque instant de la musique d’Eastman.
Commençons par l’ouverture : nous sommes dans la vaste galerie, au mur, une inscription en lettres électriques rouges, « the lessing is miracle », deux pianos se font face, et les violoncelles attendent leurs interprètes. Deux pistes sont marquées au sol, pour accueillir les danseurs. Mais c’est dans la rue que la musique commence : le ténor Davone Tines, costumé en empereur de je ne sais quel conte médiéval, juché sur un plot de pierre, commence à chanter. Les passants l’entourent, et, de la galerie 3, le public observe ce happening qui donne le ton d’un spectacle parfaitement maîtrisé. Suivra une chorégraphie d’une virtuosité et d’une intelligence des corps constantes : la drag-queen Soa de Muse enclenche une litanie que les danseurs poursuivront dans une succession de trios, de duos, de solos, s’échangeant, s’embrassant, se réunissant. Comme si la guerrilla qui nous était contée se jouait dans cette lascivité des corps, sans cesse animés par le désir. La musique accentue la dimension compulsive de la danse qui joue des codes classiques, un duo nous offre même une scène de « portée », tout en offrant des figures neuves. En cinquante minutes, le ballet de Gerard et Kelly nous mène dans un univers d’une grâce inédite aussi contemporain, que très marqué par l’époque de la composition du morceau, la fin des années 70, à cette intersection d’érotisme, de noirceur et de fureur.
Et si l’on se souvient que Julius Eastman fut aussi danseur, on saisit aussi pourquoi danse et musique trouvent dans Gay Guerrilla de quoi s’éprouver.
Gay Guerrilla, Gerard et Kelly, musique Julius Eastman, jusqu’au 3 juillet, Beaubourg.