Qudus Onikeku, invité de Beaubourg dans le cadre de Moviment, provoque la rencontre entre intelligence artificielle et tradition yoruba. Pour réinventer l’héritage dans un espace-temps autre, quelque part Out of This World. Un spectacle qui marquera sans nul doute aussi le festival ManiFeste de l’Ircam.
Le totem est-il soluble dans l’art numérique ? Un système divinatoire millénaire peut-il se réincarner grâce à l’intelligence artificielle ? Entre le Nigéria, les Etats-Unis et l’Europe, Qudus Onikeku croise ses racines yorubas, urbanité africaine, travail artistique, militantisme culturel et recherches informatiques à l’Université de Floride. Le projet entrepris est titanesque et ce qu’on en verra sous le titre d’Out of This World n’est en fait que la pointe de l’iceberg, une installation performative autour de seize écrans-totems, deux musiciens et un chanteur qui, en tant que prêtre Ifá, est également un représentant de la cosmogonie et mythologie yoruba. Liant sculpture et art visuel, ces totems diffusent récits et légendes du patrimoine culturel des Yoruba et dessinent un espace propice aux performances, à la rencontre et aux débats, mais avant tout, comme son titre l’indique, à entrer dans un espace hors de ce monde où le temps ne serait plus uniquement linéaire mais tout aussi cyclique, selon les concepts yoruba sur la naissance, la vie et la mort.
Racines et culture de ce royaume, si puissant avant l’arrivée des Européens sur les côtes d’Afrique de l’Ouest, sont au cœur des recherches et de l’action de Qudus Onikeku. Que signifie aujourd’hui être Yoruba dans la dimension philosophique, spirituelle, psychologique et technologique ? Car si cette appartenance s’exprime par la langue, les vêtements, les musiques et les danses, elle ne s’y résume pas. Au contraire, la forme peut être résolument contemporaine, alors que l’esprit reste connecté aux sources d’une culture qui inclut la géomancie. Onikeku travaille sur un système qu’il appelle Oraqu et qui fera sa première apparition en public à l’occasion de la création d’Out of This World. Il s’agit d’une application pout téléphone mobile construite selon le système Ifá, dont l’invention est attribuée à Orunmila, l’Orisha de la connaissance, de la sagesse et de la divination, autrement dit : de la philosophie.
L’Oraqu est, selon Onikeku, « un protocole binaire permettant d’organiser, traiter et récupérer des informations » qui reposent sur seize Odus (livres) dont chacun est divisé en seize parties. D’où les seize écrans-totems dans Out of This World où Onikeku réinvente ce qu’on appelle aujourd’hui le content. « L’intelligence artificielle nous permet de repenser nos traditions orales de manières multiples, en dehors des structures de pouvoir impérialistes et post-coloniales », dit-il. Et voilà qu’une nouvelle version de son application est déjà en route, pour permettre un meilleur accès à la culture et aux savoirs yoruba. Ainsi Onikeku est-il un acteur de l’afrofuturisme qui relie héritage et avenir technologique des peuples africains. En même temps il développe, en partenariat entre son QDance Center à Lagos et l’Université de Floride, une intelligence artificielle effectuant des analyses transculturelles du mouvement dansé. Out of This World permet de saisir toutes ces recherches à la racine.
Out of This World de Qudus Onikeku. Centre Pompidou. Du 8 au 11 juin