Avec ce Falstaff débridé à l’Opéra de Lille, Denis Podalydès, l’Orchestre de Lille, et le baryton Tassis Christoyannis offrent un spectacle jouissif.
S’il ne fallait qu’un mot, ce serait l’allégresse. On ne se lasse pas du dernier opéra de Verdi, de cette pirouette d’un homme de quatre-vingts ans qui signe son premier opéra-bouffe, virtuose éclat de rire qu’il jette au monde, avant de disparaître un soir de janvier 1901. Le séducteur obèse emprunté à Shakespeare offre à Verdi un alter ego jouissif et jouisseur, assumant liberté et obscénité d’un même geste, que la postérité célèbre sans fin. Il y a deux ans, Falstaff était un des spectacles les plus remarqués du festival d’Aix, puis de l’Opéra de Lyon. Aujourd’hui, ce nouveau Falstaff de l’Opéra de Lille pourrait être l’une des productions les plus réussies de la fin de saison. L’énorme Falstaff porte bonheur et notre époque l’adore, la salle était ce soir de première debout pour l’applaudir. Sur le plateau dévasté par les bouffonneries de Falstaff, chanteurs, musiciens et metteur en scène saluaient, visiblement émus. Au centre, Tassis Christoyannis, en collants et tee-shirts, se voyait acclamé. Le baryton grec est à n’en pas douter le héros du spectacle : Falstaff superbe, aussi profond dans son chant que léger dans ses gestes, il tient son rôle de bout en bout, jusqu’à une fin grâcieuse et saisissante, qui révèle son immense talent d’acteur. Mais je n’en dirais pas plus, car cette dernière partie du spectacle affirme autant l’ingénuosité du chanteur que la finesse de la mise en scène de Denis Podalydès.
Ce n’était pourtant pas sans inquiétude : le rideau s’est ouvert sur un Falstaff alité dans une chambre d’hôpital, et l’on a craint l’une de ces mises en scène doloristes et graves qui ont le vent en poupe, et qui siéraient si mal à Falstaff. Mais Podalydès, et son acolyte à la scénographie Eric Ruf, n’ont pas la tristesse des esprits sérieux : l’hôpital de ce Falstaff devient vite un terrain de séduction et de jeux d’ombres, de marivaudages guignolesques et de courses-poursuites sexuelles qui doivent autant à La Mégère apprivoisée qu’à Benny Hill. Au rythme parfait de la comédie ( que Podalydès bien sûr maîtrise, tout comme Antonello Allemandi et l’Orchestre de Lille ), se succèdent les courts tableaux de Verdi, les nuances musicales des scènes offrent à chacun des dix chanteurs présents un moment de triomphe, jusqu’au final, prouesse technique et merveille vocale. On retiendra notamment Gabrielle Philiponet qui campe une Alice Ford d’un timbre rond et puissant. L’ensemble s’amuse, et nous le laisse comprendre. L’hôpital qui nous accueille ajoute même au rire général, car la petite compagnie d’infirmiers et de médecins qui entourent ce Falstaff de moins en moins malade au fil de la pièce, affiche en blouses et en grotesque, un puritanisme ostentatoire. « Sans moi, vous n’auriez pas d’esprit » lance Falstaff à ceux qui le condamnent, tout en relevant sa blouse de malade sur ses fesses et son sexe nus, assez peu ragoutants avouons-le. Mais il a raison Falstaff, sans lui, sans cette figure du mauvais goût, de l’ironie, et de l’infréquentable, nous manquerions d’esprit. Ne l’oublions pas.
Falstaff, de Guiseppe Verdi, direction musicale Antonello Allemandi, mise en scène Denis Podalydès, Opéra de Lille, jusqu’au 24 mai. Et diffusion gratuite sur grand écran par Opera Live dans 22 lieux des Hauts-de-France le 16 mai.