Il est des livres qui ne devraient pas voir le jour le jour . Des livres qui salissent, des livres qui déshonorent, des livres qui sentent la merde. Celui de François Krug, Réactions françaises, enquête sur l’extrême droite littéraire, aux Éditions du Seuil, est de cette catégorie. L’objet du livre est simple, simplissime, simplet : il s’agit d’un harponnage en règle, celui de trois écrivains censés être ni plus ni moins d’extrême droite, comme l’annonce sans détour le titre de l’essai. De quels poissons parle-t-on ? Sylvain Tesson, Michel Houellebecq, Yann Moix. Je ne dirai mot sur Houellebecq, aisément classable à l’extrême droite, eu égard à ses propos à répétition sur l’Islam. Mais voyons notre affaire de près.

Premier problème qui se pose à nous, son genre. Sous couvert d’enquête, Krug choisit de fait le pamphlet, le pire des genres possibles. Le pamphlet est l’exact inverse de la pensée, l’exact inverse de la précision, l’exact inverse de l’intelligence au sens d’une approche d’un sujet par la contradiction, le paradoxe, l’ambivalence, la dialectique. Pas de zone d’ombre, pas de zone blanche, pas de zone grise, mais une ligne droite qui effacera sur son passage toute trace gênante de la pseudo-démonstration. En l’espèce, tout ce qui pourrait déranger Krug pour asséner au marteau que ces trois écrivains sont d’extrême droite, sera annihilé. Toute preuve du contraire de sa pseudo-thèse sera détruite. Le pamphlet diffame par omission, passe son temps à réduire, à retrancher, à rendre le plus bête et le plus caricatural possible le sujet traité, là où la pensée chemine, s’essaie, parcourt, bégaie même, jusqu’à trouver un début de commencement de vérité. Le pamphlet est une brute épaisse là où la pensée tente avec adresse et subtilité de se frayer un chemin dans l’obscurité. Le pamphlet de Krug s’inscrit par essence dans les pas des pamphlets de Céline, où il réduisait à son maximum l’être juif, dans les pas du pamphlet de François Begaudeau où il réduisait le Bourgeois à sa part monstrueuse. La haine, la hargne, la vindicte ne sont jamais bonnes conseillères, sauf à se foutre de la vérité, point de raccordement, au fond, de ces trois auteurs.

Il est facile de réduire en miettes ce livre. Prenons un premier exemple, qui montre à quel point Krug a la pensée courte et fausse. Il cite une interview de Sylvain Tesson, chez lui, qui fait part à un journaliste de ses goûts littéraires. Il l’amène à observer sa bibliothèque et soudainement Krug monte sur ses grands chevaux : Tesson a des livres de Junger. Krug n’en revient pas. Junger, what ? Ellipse, clin d’œil complice à son lecteur. Passons sur les ambiguïtés de l’auteur cité, qui auront échappé bien sûr à Krug qui n’a jamais lu Junger. Mais surtout : est-ce parce que tel ou tel livre figure dans votre bibliothèque qu’il est le parfait reflet de ce que vous êtes et de ce que vous pensez ? J’ai chez moi le journal en trois tomes de Goebbels, doit-on en déduire que je suis un Goebbelsien de premier ordre ? J’ai l’intégrale des Situations de Jean-Paul Sartre, doit-on en déduire que je suis un communiste apologue des goulags ? J’ai là commencé à douter du sérieux de ce monsieur Krug. Je continue. Toujours à propos de Sylvain Tesson, il évoque une idée qui m’a paru relever d’une intolérance et d’une contre-vérité. Krug, du haut de ses idéaux de gauche inaltérables, juge Tesson d’extrême droite, car celui-ci pense que la France en particulier et l’Occident en général, s’enracinent dans des valeurs chrétiennes. On peut être en désaccord avec cette idée, considérer que la France est avant tout le fruit des droits de l’homme, de 1789. Selon ses affects, son histoire personnelle, ses rencontres, son milieu, vous pencherez d’un côté ou de l’autre. Mais pourquoi le vouer aux gémonies, et le disqualifier d’emblée en le rejetant à l’extrême de la droite ? Sans parler du fait que beaucoup de chrétiens, tant à gauche qu’à droite, abhorrant l’extrême droite, sont attachés à cette idée d’un Occident chrétien.

Ne serait-ce que ces détails que ce serait déjà trop d’erreurs à mes yeux. Mais il y a pire et ce pire jette un discrédit définitif sur le livre. J’ai nommé Yann Moix. Je connais Yann Moix depuis plus de 10 ans, et il nous a donné des articles, toujours brillants et originaux, comme le portrait qu’il nous livre ici, de Catherine Deneuve. On sait, il a déconné, ses dessins de jeunesse antisémites sont inadmissibles. Certains ont décidé de ne jamais le lui pardonner, et c’est leur droit ; d’autres, comme moi, ou comme Bernard-Henri Lévy, ont décidé de passer l’éponge. Sûr qu’il a changé. Aujourd’hui, et ce depuis que je le connais, il ne partage rien avec l’extrême droite, qui d’ailleurs le méprise. S’il s’était avéré du contraire, je ne ferais pas écrire Moix à Transfuge, hermétique à ces idées et ce mouvement. L’écrivain a multiplié les déclarations pro-migrants et a réalisé un documentaire sur les migrants de Calais. Cette position pro-migrants l’exclut de facto de l’extrême droite, rendant les propos de Krug diffamants. Ailleurs, il s’est exprimé sur l’Islam, dans son très bel essai Terreur, où il affirmait avec la gauche que « l’Islam était la première victime du terrorisme ». Inutile de vous dire qu’à l’extrême droite, ses propos ont provoqué l’ire des uns et des autres. De facto, Moix ne peut être qualifié d’écrivain d’extrême droite : c’est une honteuse diffamation ; une enquête qui n’en est pas une. La malhonnêteté de ce monsieur Krug est criante, son manque de sérieux évident. Il n’est vraiment pas très sérieux comme l’ont dit L’Obs et Libération de dire que ce travail est sérieux.

On pensait en avoir fini avec les âneries de ce Krug, mais qui l’eusse Krug ? Il se discrédita lui-même. C’est la cerise sur le gâteau, qui montre s’il fallait encore le démontrer, qu’on a affaire à un guignol. À la fin de l’interview de L’Obs, l’intervieweuse lui demande si Moix est vraiment d’extrême droite et antisémite ? La réponse est hallucinante : « Non, Moix n’est pas d’extrême droite ni même antisémite ». Mais alors, se demande-t-on, pourquoi Krug a-t-il donc mis Moix dans son filet à poissons fascistes si ce dernier ne l’est pas ? Une réponse nous est venue spontanément : Krug n’est pas journaliste, mais un marchand de tapis.