Pourquoi réunir Giovanni Anselmo, Lothar Baumgarten, Mariza Mertz et Ettore Spalletti ? Parce que leurs œuvres sont des poèmes solitaires qui, ici, entrent en secrètes confidences.

Ils sont nés entre 1926 et 1944 et partagent tous les quatre une quête de poésie et de spiritualité à travers des œuvres à la lisière de l’art conceptuel et de l’Arte Povera (dont Anselmo et Merz faisaient partie). La symbolique intrinsèque du matériau naturel, sa force d’évocation et sa capacité à exprimer le froid ou le chaud, le tendre ou l’épineux, l’éternel ou l’énigmatique sont les guides primordiaux de ces créations dépouillées, dénuées de tout ornement, de tout superflu, afin de laisser à la matière seule – la terre, le granite, l’albâtre, le bois, l’or, le fer… – le champ possible pour retrouver, pour « recapter » même – tant le magnétisme et la physicalité de la nature semblent ici être des vecteurs – une émotion originelle. En contraste cependant, au creux d’une cavité de granite, entre les veines de l’albâtre, au sommet d’une frêle branche d’arbre, l’intervention discrète du geste humain introduit la poésie du rapport ténu entre nature et culture. Ainsi de ce monolithe d’albâtre d’Ettore Spalletti suintant d’un infime sillon de son fidèle impasto bleu, dont la minutieuse abrasion des pigments épouse avec magie le blanc laiteux de la pierre. Ainsi de son grand monochrome, de ce même bleu-gris infiniment caressant, dont les imperceptibles anfractuosités, font naître en nous des émotions aussi vaporeuses et puissantes que l’immensité écumeuse de la mer ou l’archaïsme empathique des murs dorés des églises romanes. Art aussi primitif que radicalement moderne, comme le sont les carrés de graphite d’Anselmo qui tente de dessiner l’ineffable, à savoir un détail de l’infini – aspiration utopique s’il en est – dont il recherche aussi la direction, et peut-être la consistance, au bout de ce chemin de terre qui traverse le sol jusqu’à une bande peinte de bleu outremer, dressée comme une porte vers l’au-delà. Le chemin vers les étoiles est celui que Lothar Baumgarten, artiste allemand au penchant ethnologue, s’amuse à cartographier au faîte d’un noisetier, tandis que Marisa Merz trace sur un papier japon l’orbe doré du soleil, aussi immortel que la petite sculpture d’argile sans âge qui se tient à ses côtés. Ces œuvres ont en commun le vertige du passage du temps et les résonnances secrètes des énergies naturelles. Les monochromes bleus tendres de Spalletti ne procurent-il pas cette obsédante sensation d’ailleurs ? Non pas cet ailleurs de voyages et de découvertes, mais cet ailleurs intérieur, sans réelle consistance, pareil aux songes, que la pensée intime échafaude pour déceler des passages obscurs vers des souvenirs oubliés ou des présences disparues. Œuvre si minimale et si pure qu’en émane ce caractère indescriptible qu’ont les sentiments les plus profonds. Tout ici est sensibilité et délicatesse. Car si ces œuvres surprennent par leur extrême nudité et leur silence formel, elles sont d’occultes offrandes à qui sait être poète et philosophe. Un jour d’août 1965, après l’ascension du Stromboli, Anselmo a été frappé par son ombre portée chancelante vers l’infini. Comme si l’horizon de son âme était relié à quelques forces mystérieuses de l’univers. C’est de cette infinitude émotionnelle dont parle cette élégante exposition. 

D’ici à l’infini. Giovanni Anselmo, Lothar Baumgarten, Marisa Merz, Ettore Spalletti, jusqu’au 29 avril, Galerie Marian Goodman, mariangoodman.com