L’opéra de John Adams fait son entrée à l’Opéra de Paris : une mise en scène spectaculaire et une très belle distribution pour une œuvre qui, sans flamboyance musicale, marqua son temps. 

Le grotesque est parfois la voie la plus simple, pour dire une chose apparemment complexe. Ainsi la realpolitik chère à Kissinger, appliquée à un cas précis : la Chine de Mao. Ainsi, la faillite éthique et intellectuelle d’un Occident qui a vu pour certains en Mao, une figure à admirer, et pour d’autres, un partenaire commercial possible. Tout cela, c’est le tohu-bohu qui a précédé et suivi la visite du président américain Richard Nixon en Chine en 1972. Et, que dix ans plus tard, John Adams raconte dans l’opéra le plus célèbre de sa carrière : Nixon in China. Une oeuvre originale, avec de beaux airs, musicalement, très simple, et qui perd un peu son sens en cours de route.  Mais où l’on retrouve l’un des traits de génie de l’art américain : transformer l’art en caisse de résonnance immédiate, ici à quinze ans près, du présent. Empruntant autant au musical américain qu’au minimalisme de Philip Glass, au théâtre qu’à la danse, au documentaire qu’au livret lyrique d’Alice Goodman, cet opéra hisse l’actualité dans la légende. Le soir de première à Bastille, l’attente est donc forte ; beaucoup citaient la mise en scène de Peter Sellars qui contribua, il y a plus de trente ans, à rendre culte l’opéra. La distribution, Renée Fleming en tête, assurant le rôle de Pat Nixon, promet beaucoup. Et l’Opéra de Paris ose un doublé audacieux : faire entrer Nixon in China dans son répertoire, et en confier la mise en scène à une femme inconnue du public français, mais très repérée dans le monde de l’opéra, l’argentine Valentina Carrasco. Le résultat ne faillit pas. La mise en scène de Carrasco mise sur le spectaculaire, et triomphe. L’aigle géant en peinture dorée qui descend sur scène après l’ouverture donne la couleur : nous sommes dans le grand spectacle, très soigné, et théâtralisé. Ainsi, la somptueuse scénographie du premier acte, où l’on voit Mao recevoir Nixon et Kissinger dans une vaste bibliothèque, fidèle en cela à sa réputation d’homme « cultivé », et en dessous, au premier niveau, une série de geôles où l’on brûle des livres et torture des hommes. Poignante image du double-langage qui règne dans cet échange, cette mascarade. La tyrannie est un jeu grossier et burlesque, et Valentina Carrasco n’hésitera pas non plus à placer entre les mains des chanteurs une mappemonde qu’ils se jetteront l’un l’autre, dans une référence assumée au Dictateur. Dans la deuxième partie, la chorégraphie, qu’affectionne la metteure en scène, vient servir un acte éblouissant, où les images du Vietnam se superposent à la violente humiliation publique d’une femme. Le tout dirigé avec grâce par Gustavo Dudamel. Une virtuosité qui fait oublier certains moments plus pesants d’une mise en scène fondée sur le spectacle et l’énergie, et d’une musique aux leitmotivs ultra-récurrents. 

Les chanteurs de leur côté semblaient ravis de se prêter à ce vaste spectacle. Mention spéciale pour les femmes : la scène qui voit Renée Fleming chanter avec un dragon chinois, sur fond de forêt pékinoise, est assez jouissive, la diva joue l’ironie si bien, et garde un tel coffre à son âge, qu’on se croirait dans un pastiche de Minelli. Lui répond Madame Mao, que la chanteuse Kathleen Kim, révèle, tant elle est exceptionnelle, dans sa puissance, et sa richesse vocale. À la fin de l’opéra, on ne voit qu’elle. Côté masculin, la voix de Kissinger, alias Joshua Bloom surpasse toutes les autres, notamment au cours d’une scène où le secrétaire d’Etat humilie sa maîtresse, en public. Hélas plus que Richard Nixon, Thomas Hampson, élégant, mais légèrement dépassé par le rôle….Il faut dire, qu’endosser le costume du président américain n’est pas des plus faciles, surtout dans un tel réquisitoire contre le cynisme politique. 

Nixon in China, John Adams, direction musicale Gustavo Dudamel, mise en scène de Valentina Carrasco, Opéra de Paris, jusqu’au 16 avril.