Notre-Dame, lieu saint mais aussi véritable temple du travail. Un grand œuvre qui, des restaurateurs d’aujourd’hui à ceux d’hier s’expose à la Cité de l’architecture.

Au commencement est cette portion insulaire de Paris revêtue d’un vocable plus citadin que nautique, drapée dans le saint manteau de la mère du Christ. Ce fragment de terre voilé dans l’auguste enveloppe azurée d’une étoffe mariale, dont les ondes, les cassures, le grain auraient affecté la robustesse orfévrie de la pierre, emprunté aux chênes de la « forêt » de la charpente leur tramé ligneux, pris aux vitraux l’allumage de leurs coloris. Cette Ile de la Cité sur laquelle se penche Notre-Dame, avec la sereine sollicitude des monuments en route pour l’éternité, dussent-ils subir, comme ce 15 avril 2019, les tourments et l’effroi de la danse macabre du feu. Cette Ile de la Cité, en un mot, plus féconde que toute la glèbe de nos provinces depuis qu’au XIIe siècle, l’évêque Maurice de Sully semait les premières graines de la cathédrale et que celles-ci s’épanouissaient, s’élançaient vers le plus haut des cieux – mais arrosées tout en bas par la Seine, baignées depuis les échafaudages par la sueur des siècles d’ardeur, d’opiniâtreté disciplinée, de longues patiences du peuple innombrable des forts travailleurs ou des mains exquises. Cette île, berceau de ce berceau retourné qu’est la cathédrale, qui n’en finit jamais de renaître, du chantier gothique fouetté par la foi au chantier de notre millénaire qui panse si tendrement, si prudemment les plaies de la grande brûlée, reconstruisant ses dermes outragés, ses chairs calcinées. Avec, entre les deux, le Verbe régénérateur de la bouche d’ombre hugolienne – bouche de lumière vive pour la cathédrale au XIXe siècle, car le Poète a donné de la voix (on lira, avec la déférence émue que commandent ces syllabes, sa signature sur une lettre-pétition du 31 mai 1842), et il a suscité l’Architecte : Viollet-le-Duc lavera la négligence crasse où on avait laissé macérer la Dame de pierre, lui dressera le jet extasié d’une flèche, confiée à la protection des colossaux apôtres de cuivre de Geoffroy-Dechaume.

D’une Cité à l’autre : celle de l’architecture où tout ce qui s’étale ci-dessus avec l’inconsistance sommaire et dévote du lyrisme se déroule avec l’ordre sain d’une méthode affermie, la minutie tranquille des grands savoirs. Ainsi apprendra-t-on sous quelle lune il convient d’abattre les chênes qui suppléeront feue la charpente ; ainsi encore verra-t-on en Viollet-le-Duc un coloriste d’âme et d’œil, épris de lumière au point d’envisager le décor peint des chapelles avec un sentiment des effets et des vicissitudes de l’éclairage que bien des peintres lui envieraient. Ainsi, entre les moulages conservés par la Cité, un dessin de Geoffroy-Dechaume à l’encre et à la sanguine ou encore la lettre pétition ornée inter alia du paraphe d’Hugo, voit-on les compagnons d’aujourd’hui et ceux d’hier, les restaurateurs des années 2020 et Viollet-le-Duc, entourer Notre-Dame de leurs pieux et savants soins – comme une guirlande d’anges industrieux ayant troqué leurs harpes pour les outils de l’artisan et œuvrant à une nouvelle Assomption architecturale. 

Exposition Notre-Dame de Paris. Des bâtisseurs aux restaurateurs, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 29 avril.

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