Dans Ahouvi le dramaturge israélien Yuval Rozman met en scène avec une touche d’humour la fragilité de la relation amoureuse et ses liens avec la politique. À voir dans le cadre du festival Amiens Tout monde.
« Je doute beaucoup. Ça agace parfois ceux qui m’entourent. C’est dans l’écriture que j’affirme mes désirs, mes goûts, mes choix. » Loin d’être un handicap pour Yuval Rozman, le fait d’hésiter, de se sentir partagé entre des aspirations contradictoires ou difficilement conciliables se révèle un moteur efficace pour son travail de dramaturge. Ce déchirement est d’ailleurs au cœur de sa dernière pièce, Ahouvi, où Virgile et Tamar ayant vécu une histoire d’amour particulièrement intense sont au bord de la séparation. Tamar est ssraélienne, Virgile est français. À travers eux, c’est un peu sa propre histoire, complexe, avec la France qu’évoque Yuval Rozman – avec aussi en toile de fond le conflit israélo-palestinien. Ce spectacle s’inscrit dans une série commencée avec Tunnel Boring Machine racontant la relation amoureuse à Gaza dans un tunnel construit par le Hamas entre un Palestinien et un Israélien, suivi de The Jewish Hour sur la question religieuse.
Ces deux pièces constituaient les premiers pans d’un triptyque dont le troisième volet, Adesh, devait traiter de la question économique en Israël et plus particulièrement des colonies. Pour l’écrire, Yuval Rozman a passé deux mois en Cisjordanie. « Je suis parti avec mon chien Elio en me disant qu’en cas de difficultés avec les colons sa douceur aiderait à entrer en relation. Ma situation en Israël n’est pas simple. C’est un pays que j’ai fui du fait de mes prises de position critiques vis-à-vis du gouvernement et en faveur des Palestiniens : je n’avais plus aucun soutien financier en tant qu’artiste. Cela a été une chance pour moi de pouvoir travailler en France. En même temps mon pays me manque. » À la suite de son séjour en Cisjordanie, il s’installe à Marseille dans le cadre d’une résidence d’artiste à Montevideo. Là au lieu de s’attaquer à Adesh, il écrit un en temps record Ahouvi. « C’est venu d’un coup presque sans que je m’en rende compte. D’habitude il me faut au moins dix-huit mois pour écrire un spectacle. Là je l’ai littéralement vomi. C’est une pièce sur l’amour et la perte de l’utopie. Israël était une utopie pour mes grands-parents. Pour moi la France était une utopie. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui avec la montée de l’extrême droite, de la xénophobie et de l’antisémitisme. »
Précisons qu’en hébreux « ahouvi » signifie « amour ». Par le biais de Tamar et Virgile, Yuval Rozman expose le seuil critique d’une relation amoureuse où continuer à vivre ensemble paraît impossible, mais se séparer aussi est impossible. « Le spectacle démarre dans des tonalités pastel sur un mode Lalaland. Sur scène il y a un chien. Symbole de leur amour, mais aussi du refus de regarder la réalité en face. Beaucoup de rancœur s’est accumulée entre eux. La pièce oscille entre raconter et vivre. Le plateau est un dispositif quadrifrontal qui tient à la fois de la cérémonie et du tribunal. Les acteurs prennent le public à partie. Chacun donne sa version des événements ; ce n’est pas manichéen. Il y a de la violence, mais elle est cachée. Ils la vivent, mais ne la montrent pas. Dans ce spectacle, j’interroge la culture de la victimisation. J’essaie de rendre compte des relations politiques qui se tissent entre humains. Dans la Bible, Tamar est une des filles de David. On dit qu’elle est très belle. Elle est violée par son frère. Alors elle sort sur la place publique et après avoir arraché ses vêtements, elle dénonce son frère. Dans la pièce Tamar, qui a d’abord tout fait pour sauver leur amour vacillant, est celle qui dit le non majuscule. »
Ahouvi, de et par Yuval Rozman, à la Maison de la Culture d’Amiens, les 4 et 5 avril. Dans le cadre du festival Amiens Tout monde.