Le nouveau Spielberg est arrivé, The Fabelmans, et c’est un excellent cru.

« Le cinéma, c’est l’enfance de l’art » disait Godard, l’art de l’enfance aussi répond Spielberg avec son dernier film, The Fabelmans. Les parents de Sam, accroupis, cherchent l’horizon de son regard de petit garçon pour lui expliquer que l’expérience qu’il va vivre le marquera à jamais. Pour la première fois, ils l’emmènent au cinéma, sa mère parle de sensations, son père de persistance rétinienne et dans cette salle obscure le jeune Samuel rencontre un train qui fonce droit sur lui. Un train qui provoque un terrible accident en faisant valdinguer les animaux d’un cirque et quelques hommes : on comprend que tout est là. La montagne du jouet[1] va accoucher de merveilles. Pour Hanoukah, Sam demande un train électrique qu’il pourra faire dérailler à l’envi, maîtrisant ainsi son traumatisme. Devenu maître et possesseur des images qui l’obsèdent et le terrifient la nuit, il recrée puis filme l’accident en modèle réduit, il monte et remonte sa propre vision des choses. Oui, tout est là. Spielberg revient sur son enfance, à la source de cette magie qu’il projette sur les écrans du monde entier depuis plus de cinquante ans. De la scène familiale bouillonnante, le cinéaste retient les déménagements, les frasques d’un singe qui doit éloigner la dépression, les deuils, le cyclone qui emporte au loin sa mère — elle qui avait renoncé à une carrière de concertiste pour se consacrer aux enfants et qui finit par rejoindre le merveilleux pays d’Oz, pour le meilleur et pour le pire. Mais ce qu’il tient à offrir avant tout, c’est du cinéma : ses sœurs font les pitres déguisées en momies avec une débauche de papier toilettes, lui collecte chez les scouts des bébés scorpions, fait rejouer à ses camarades des combats épiques dans la poussière et les roches rouges, les lance à l’assaut d’une diligence, le tout devant sa caméra de gamin surdoué. Super 8, Ariflex, tables de montage à louer à prix d’or, Sam s’adonne à sa passion. La dimension intime du récit à peine masquée derrière le nom d’emprunt Samuel Fabelmans, Spielberg nous confie les clés de son royaume. Un royaume d’images à capturer, monter, triturer, un royaume où les secrets bien gardés se cachent au cœur des bobines, un royaume où l’on peut enfermer sa mère dans le noir pour lui montrer ce que l’on sait, parce que les images disent mieux que les mots. Le cinéma de Spielberg témoigne du pouvoir de sidération d’un médium qui réunit, magnifie et console. Dans Indiana Jones ou la dernière croisade, un adolescent en quête du père tombait dans un train trimballant toute une ménagerie de cirque, avant de se retrouver adulte à devoir décrypter les signes capables de sauver le père des griffes des nazis. Si le cinéma possède un pouvoir c’est bien celui de renouer des dialogues interrompus, de réenchanter un monde chaotique, de recoller les morceaux d’une histoire qui se délite. Ciné-fils, Spielberg n’a cessé de s’inventer des pères de cinéma, celui qu’il convoque ici s’appelle John Ford (interprété par un David Lynch au phrasé lunaire). Nourri à L’Homme qui tua Liberty Valence, l’apprenti-réalisateur Sam saisit depuis l’œil unique du géant l’horizon des possibles. Rarement un cinéaste aura réussi le pari de remonter avec un tel bonheur aux origines de son désir de cinéma, de son goût pour le jeu et la vie en plus grand, plus large, plus modelable. Avec The Fabelmans, Spielberg clame son besoin de passer de l’autre côté du réel, là où les petits garçons de fiction peuvent enfin devenir de vrais petits garçons avant de s’endormir dans des songes éternels. 


[1] Le patronyme « Spiel-berg » renvoie à ce jeu de mot, « berg » en allemand signifie la montagne et « spiel », le jeu, le jouet.

The Fabelmans de Steven Spielberg, avec Gabriel La Belle, Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, David Lynch. Amblin. Sortie le 22 février 

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