L’immense actrice Jeanne Moreau était aussi cinéaste. Elle signa trois films, beaux et émouvants, à découvrir en salle. Immanquable.

Les actrices-cinéastes sont remises à l’honneur depuis quelque temps. Après Anna Karina et son Vivre ensemble (1973), et parallèlement à la ressortie en salle du Sois-Belle et tais-toi (1976) de Delphine Seyrig par Splendor films, c’est au tour de Jeanne Moreau de révéler ses talents de cinéaste avec non pas un mais trois films méconnus. Derrière la caméra, et parfois aussi devant, elle oscille entre fiction et documentaire. Lumière (1976) déroule une année dans la vie d’une actrice, au travail et en coulisses, ses amours et ses peines mais surtout une histoire de femmes au pluriel et au singulier. Le film s’ouvre sur une piscine ensoleillée avec Sarah (Jeanne Moreau) qui nage et chante que « les femmes sont divines quand on peut voir leur poitrine ». Caroline (Caroline Cartier) la rejoint puis Julienne (Francine Racette) et Laura (Lucia Bosè que Moreau retrouve après Nathalie Granger (1972) de Marguerite Duras dans lequel un jeune Depardieu tentait de leur vendre une machine à laver automatique pendant que Jeanne répétait « vous n’êtes pas voyageur de commerce »). À table, à la sieste, au coin du feu, les chansons de toile s’écoulent, quatre femmes échangent au sujet des hommes, des repas, du travail et des enfants. Le temps s’écoule dans les collines ensoleillées du sud de la France où elles cueillent des champignons et font du cerf-volant. C’est un pur moment de grâce et d’apaisement après le drame. La voix-off de Jeanne Moreau nous révèle qu’il y a un an c’était Paris, et aucun signe prémonitoire n’annonçait la catastrophe. Le flash-back nous replonge dans un tournage qui s’achève en même temps qu’un couple se défait et qu’un autre s’invente, qu’un ami cher se suicide. Le temps se dilate et adopte le rythme des hauts bas fragiles de la vie comme elle va. A quarante ans, son amie Laura enceinte lui confie ne plus savoir jongler entre ses rôles de mère, amante et épouse. Sarah, elle, répond dans un sourire : « on ne peut pas tout avoir » — les échos avec le documentaire de Seyrig et surtout avec le très beau film-enquête de Rosanna Arquette A la recherche de Debra Winger (2002) sont évidents, peut-on tout avoir quand on est une femme, l’art et la vie familiale épanouie ? Quant au titre, il dit la chose en donnant corps à un désir d’actrice d’écrire avec sa propre lumière, de montrer la magie des femmes-actrices, puissantes et fragiles, des femmes qui échappent aux étiquettes qu’on veut tant leur accoler. Sarah lit La Promenade au Phare de Virginia Woolf, une histoire d’ombre et de lumière, celle d’une mère qui assemble les siens au prix de certains sacrifices. Sarah, elle, se sent libre, sans attache, à la place d’un enfant elle reçoit un prix diamant. C’est dans L’Adolescente (1979) que Moreau rejoint l’enfance avec Simone Signoret dans le rôle de la grand-mère. Son dernier film est un documentaire où elle met en scène la rencontre de deux regards, le sien admiratif et celui vif et espiègle de Lilian Gish. Un portrait-dialogue avec la comédienne-phare de Griffith, son parcours, ses liens avec celui qui a inventé la grammaire du cinéma et auquel elle doit tout. Moreau écoute et explique, émue, que son mentor à elle c’était Louis Malle et qu’elle a peiné à jouer pour un autre homme, un autre regard derrière la caméra. Le regard, le temps, l’art et les femmes, Jeanne Moreau, absolument.

Lumière (1976) de et avec Jeanne Moreau, Lucia Bosè, Caroline Cartier, Francine Racette, Bruno Ganz, Niels Arestrup, Jacques Spiesser, L’Adolescente (1979) de J. Moreau avec Laëtitia Chauveau, Simone Signoret, Francis Huster, Lilian Gish(doc., 1983) de Jeanne Moreau, avec Jeanne Moreau et Lilian Gish. France, Carlotta Films, sortie salles le 15 février 2023.

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