C’est le grand retour de Jean-Noël Orengo, chroniqueur à Transfuge et auteur de La fleur du capital, Prix de Flore. Bienvenue à Bangkok dans le monde de la prostitution et celui de l’art.

La Thaïlande est un cadre de prédilection pour Jean-Noël Orengo. On se souvient de ses débuts littéraires remarqués en 2015 avec un imposant premier roman plusieurs fois couronné. Les sept cents pages de La fleur du capital révélaient un prosateur puissant, capable d’embrasser une ville entière en croisant les voix et les personnages. Après L’opium du ciel et Les jungles rouges, le revoici qui prend à nouveau le chemin de l’Asie du Sud-Est dans le non moins imposant et ambitieux Femmes sur fond blanc. Le héros d’Orengo est un peintre obsessionnel du nom de Paul Gauguin. Comme le chef de file de l’école de Pont-Aven, celui-ci est né un 7 juin. Non pas en 1848 mais en 1968. Le jeune Paul que nous suivons ici n’a pas fait ses études à Orléans mais dans la ville nouvelle en béton de Noisy-le-Grand où il s’est montré un adolescent orgueilleux, solitaire et violent qui dessine plus souvent qu’il ne se bagarre. Avec autour de lui un « père animal » rugueux et une « mère humaine », ancienne princesse à Zurich devenue femme au foyer, qui caressait son dos pour l’aider à s’endormir le soir.

Bangkok, il y arrive en juin 1991 à l’âge de vingt-trois ans. Lorsqu’il débarque d’une Boeing 707 d’Air France au Don Muang Airport avec une « soif énorme d’amour » après avoir quitté sa terre natale. La mégapole « phosphorescente », la cité des anges, le happe aussitôt. « Paul est tombé amoureux dès les premières bouffées de chaleur siamoises. Il n’attendait rien d’autre en fait. Ni coutumes spéciales, ni folklore, ni bondieuseries bouddhistes, ni procession à l’aube d’hommes silencieux aux crânes rasés, pieds nus et toges orangées devant lesquels les gens attendent, des femmes surtout avec leurs offrandes de nourriture », écrit Orengo. Les femmes, justement, sont la grande affaire de Paul Gauguin. Et plus encore les « Belles de bar », les « Ladybars » qui traversent les nuits de Bangkok et son cœur. Comme la troublante Tippewan Suksanette, Tip, qui vient d’un village du nord-est, rencontrée dès son arrivée au grouillant Thermae Club où elle travaille. Tip, ensuite modèle de tant de ses croquis et de ses tableaux on ne peut plus figuratifs et explicites.

En Thaïlande, Paul Gauguin a entrepris de vivre « de ses goûts » en se laissant éblouir. De bâtir un atelier, qu’il appelle sa « Maison du Jouir », son sala de bambous et de teck où il s’évade et ressent « le lagon surchauffé qu’est Bangkok ». Les années passant, Paul Gauguin est devenu un artiste à la réputation contrastée. Pour certains, il n’est rien qu’un « pédophile colonialiste blanc ». Pour d’autres, un fin portraitiste en perpétuelle recherche esthétique et personnelle. Au fil du vaste Femmes sur fond blanc qui alterne les narrations et les perspectives, Jean-Noël Orengo donne à voir, à entendre et à sentir. Le lecteur se doit de plonger dans les vagues successives pour en goûter tout le sel et en conserver les images marquantes.

Jean-Noël Orengo, Femmes sur fond blanc, Grasset, 414 pages, 24 €