Au Quai d’Angers, le jeune artiste, sorti du TNS en 2016 et comédien fétiche de Christophe Honoré, imagine une épopée fantastique à partir des œuvres de Rabelais.  Le jeune homme a des rêves, il nous raconte. 

À deux pas du métro Laumière, où il sous-loue une chambre pour quelques jours, Youssouf Abi-Ayad évoque dans un bar de quartier, ses souvenirs d’enfance, son goût pour les super-héros, sa passion récente pour le drag et sa prochaine création, un projet fou, forcément rabelaisien. À lire, tout cela à quelque chose d’incongru, à vivre c’est surréaliste. 

 Regard noir rêveur, légèrement ensommeillé, visage délicat d’éphèbe, le comédien d’à peine trente ans semble venir d’ailleurs. L’art vivant, l’art dramatique, tout ce qui fait spectacle, il aime. Mais, enfant, en Algérie, où il a grandi, son plus cher désir était « d’entrer dans le poste, faire de la télé, être un power rangers, un super-héros. » En grandissant, c’est la réalisation qui l’attire. Arrivé à 11 ans en France, avec sa famille, il découvre le théâtre à 14. Un choc. « Je me souviens. J’allais à la médiathèque, je lisais beaucoup, mais comme je parlais mal le français, c’était assez ardu. Je détestais les grandes narrations, je préférais les dialogues. Puis un jour, je suis tombé sur un livre, édité chez Acte Sud, avec ce papier beige, si agréable sous les doigts. C’était une succession de dialogues. J’ai adoré. Je n’avais ensuite qu’une obsession, dévorer ce type d’ouvrages, lire des pièces de théâtre. »

 Faute de pouvoirs magiques, Youssouf Abi-Ayad s’inscrit dans une école de théâtre, pour devenir acteur, entrer au Français et faire une carrière internationale. Il vise le Conservatoire, qu’il obtient sans problème, mais préfère intégrer l’École du TNS, qui lui fait les yeux doux. Sans surprise, le comédien aime les planches. Grimé dans Le Radeau de la Méduse de Goerg Kaiser, spectacle de fin d’étude mis en scène par Thomas Jolly, il se dégage de sa présence gracile, une aura lumineuse, un jeu fin. « Je me suis fait avaler par le théâtre, même si ce n’est pas toujours facile. Être comédien, cela signifie vivre dans le désir de l’autre. Pour être sûr de travailler, de faire ce métier qui me plait tant, autant être initiateur de mes propres projets. » 

 Continuant son petit bonhomme de chemin, il travaille avec Mathieu Bauer, Maëlle Dequiedt, Christine Letailleur et bien sûr Christophe Honoré. Il lit Pessoa, étudie l’œuvre de Claude Régy. Étonnement, celui qui incarne Koltès dans Les Idoles, ne s’attache pas tant aux auteurs, qu’à la manière dont les récits sont portés au plateau. Romantique, poète à sa manière, Youssouf Abi-Ayad aime le déguisement, les masques qui permettent de transcender la réalité, d’aller vers ailleurs, de se libérer du regard des autres. Pas étonnant qu’il se soit intéressé en tant que metteur en scène à La Ferme des animaux deGeorge Orwell. Créée en quelques jours dans le cadre d’un festival en milieu rural dans le Grand Est, dont il est l’initiateur, et joué lors des étés du Quai à Angers, cette fable dystopique et politique fait carton plein. Séduit par cette proposition, Thomas Jolly lui propose de l’aider à monter son prochain spectacle. « Je voulais quelque chose de léger, pas plus de 5 personnes au plateau. Mais je n’avais pas poussé la réflexion plus loin. Je n’avais pas d’idées précises. Je souhaitais un truc un peu fantastique, à la manière d’Alice aux pays des merveilles. Rabelais s’est imposé comme une évidence alors que je ne connaissais pas vraiment ses écrits. J’avais surtout en tête l’humanisme et cette pensée épicurienne qui nourrissaient son œuvre. Je crois que je n’avais aucune idée de ce dans quoi je m’embarquais. Je ne sais toujours pas ce que cela va donner, mais je n’ai pas de regrets. J’ai laissé agir mon inconscient et ma créativité l’emporter. Advienne que pourra. L’important, c’est ce que ce soit un travail de troupe, un spectacle fait en famille. » 

Histoires de géants d’après les œuvres de François Rabelais. Adaptation et mise en scène Youssouf Abi-Ayad. Quai- CDN d’Angers, du 7 au 11 février.